Au premier abord, on est intrigué par le rendu très particulier des photographies de la série Black Screen qui rappellent les lumières inversées des négatifs ou les halos lumineux des photographies infrarouges.
D’espaces intérieurs aux portes parfois entrouvertes sur un rai de lumière, des objets épars, stockés là ou abandonnés, sortent de l’ombre ambiante de la pièce et brillent de mille feux, comme consumés de l’intérieur. Cet éclat est obtenu par manipulation numérique sur certaines zones de l’image.
Ainsi, la photographe nous fait part d’une perception subjective de l’espace et transforme la banalité du réel en monde rêvé, là où les objets irradient de leur présence comme s’ils avaient accumulé une énergie vitale enfouie au plus profond et révélée par la magie de la photographie.
Au premier étage, la série Solo met en présence, dans une chorégraphie rigoureuse, des figures humaines vêtues de noir ou plus rarement de blanc, avec des objets aux formes géométriques simples — lignes, cercles, parallélépipèdes. L’étrangeté des compositions donne parfois l’impression d’assister à une cérémonie, un rite rendu à une force spirituelle inconnue. Le travail de l’obscurité et de la lumière renforce l’intensité dramatique. Le ciel est d’un noir profond dans lequel s’engloutit l’horizon tandis qu’un éclairage puissant dessine sur le sol des ombres aux formes graphiques étirées.
L’espace épuré et minéral dans lequel se déroulent ces mises en scènes, territoire aux accents lunaires, semble extrait du monde. Il tient lieu de décor théâtral où le temps et l’espace s’étirent à l’infini, comme si les lois de la physique n’avaient plus prise. Mieux encore, Charles-Arthur Boyer qui signe le texte d’introduction catalogue, parle de «blocs de temps» et de «moments d’espaces» contenus dans chacune de ces photographies.
Un phénomène opère mystérieusement: les scènes évoquent davantage l’esprit du monde que sa matière, sa corporalité. Cela tient à la recherche de synthèse et d’épure des compositions, ainsi qu’à une écriture fictionnelle centrée sur l’équilibre et le déséquilibre, l’ici et l’ailleurs, le maintenant et l’après d’une reconstitution fictive d’un événement qui poursuit sa course. L’effet de suspension du temps est étroitement lié au mouvement des objets qui sont lancés et capturés dans leur déplacement à la prise de vue.
Autant dans cette série, le temps semble s’être arrêté, fixé dans un équilibre qui serait par essence la synthèse d’un moment et d’un mouvement donné, dans Black Screen, les choses sont posées et stabilisées tout en introduisant la notion d’être et d’écoulement du temps, par l’intrigante lumière irradiant des objets par ailleurs emprisonnés dans des intérieurs sombres.
Å’uvres
— Corinne Mercadier, L’allure de qui s’éloigne, 2011. Série Solo
— Corinne Mercadier, Canoe, 2011. Série Black Screen
— Corinne Mercadier, Fata Morgana, 2011. Série Solo
— Corinne Mercadier, Balles, 2011. Série Black Screen