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Moi


Pierre Cottreau a joué les porteurs. Les porteurs de valise et, en ce sens, d’espérance. À l’aide d’un diable azuré flambant neuf n’ayant de toute évidence rien de démoniaque, le porte-bagages a lentement, précautionneusement, ce, par trois fois, déchargé sa marchandise au fond d’une scène qui ne l’était pas tout à fait, in situ, dans une nature domptée par les jardiniers essonniens. Soit en tout et pour tout trois malles molles à roulettes, désassorties, en mauvaise toile, par endroits élimées, éraillées, déjà usagées. Avec, par ordre d’apparition: le trolley rouge, le ballot noir, enfin, la marmotte cyan.

Disposées en une ligne pointillée, elles détonnaient dans un tel décor, non seulement par leur enveloppe vulgaire, leur apparente banalité, mais par leur immobilité même. Il faut dire qu’on était venu voir de la danse. Donc, a priori, tout le contraire.

Les balluchons ont fini par ballotter, trembloter. Subtilement, d’abord. Puis plus franchement. Pas seulement les parois, les armatures se sont petit à petit détendues, comme cabossées de l’intérieur. Puis la mémoire de la forme originelle a repris le dessus. Un à un, les bardas se sont renversés et étalés de tout leur long. Recto ou verso, on ne le sait pas, vus de loin.

La meilleure robotique étant encore le corps, on assiste au retour du travail manuel — du travail «bien fait» par excellence. Les objets animés n’ont pas d’âme. Un bout d’index pointe le doigt dans l’entrebâillement de la fermeture éclair de la cantine centrale. Un pied émerge du caisson situé côté cour, un autre, du parallélépipède déposé côté jardin. Un avant-bras s’agite au centre d’affaires. Les trois huîtres finissent par s’ouvrir, chauffées à blanc par le soleil.

On assiste alors à la naissance d’un trio vénusien — un homme et deux femmes, chastement dénudés: donc pas totalement. Ils sont la preuve vivante qu’un danseur contemporain peut tout jouer, tout interpréter, tout incarner. Avec un bon bagage scolaire, un minimum d’entraînement, plusieurs années de yoga si besoin est, quelques leçons de contorsion, il donne le change et se métamorphose en chose. Il suffit pour cela de ne pas avoir d’arthrose!

Pas si facile de faire simple, de retrouver l’enfance de son art. Le public réagit et sourit. Tout cela paraît bon enfant. Les enfants, d’ailleurs, s’y trompent, qui sont effrayés dans l’histoire, du moins au début, le temps d’analyser et de réaliser ce qui se trame dans ce drôle de drame.

La danse devient mot-valise. Le corps du danseur, collage. Un peu monstrueux, certes. Mi-chèvre, mi-chou, mi-homme, mi-bête, mi-carpe, mi-lapin. Comme par magie ou télépathie, les danseurs se passent la consigne, d’un caisson sensoriel à l’autre.

Les meubles se bougent, les vanity-cases prennent leurs jambes à leur cou, les faunes s’égaient et s’égaillent dans la nature. Les colis se font la malle. Sous les applaudissements.

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