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Moderne ? Comment le cinéma est devenu le plus singulier des arts

Le philosophe et critique d’art Jacques Aumont envisage la question de la «modernité» du cinéma dans un essai où il confronte art moderne et cinéma, pour une «seconde modernité».

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Jacques Aumont
Moderne ? Comment le cinéma est devenu le plus singulier des arts

Se demander si le cinéma a pu être moderne n’est pas une question de critique d’art : pour le critique et l’historien de l’art contemporain, «le moderne», c’est le nom d’une époque révolue, née vers le dernier tiers du XIXe siècle, morte quelque part à la fin du XXe. Le cinéma, né hors de l’art, a toujours eu un rapport tangentiel et variable avec la sphère artistique. Pourtant, la question se pose, parce que, à différentes époques, on a voulu le revendiquer comme «moderne».

Le cinématographe des frères Lumière, invention d’ingénieurs, avait par lui-même un parfum de modernité, mais occulté sous les sujets apparemment triviaux des «vues» qu’il servit à produire. Le cinéma muet fut pris dans la même équivoque, et rares furent ceux qui, tels les surréalistes, perçurent son lien intime avec la modernité dans l’entre-deux-guerres.

A partir de Welles, le cinéma semble devenu majeur, il fait œuvre, il peut sans honte se comparer aux autres productions de l’esprit ; avec Rossellini, l’enjeu est tout autre : le cinéma participe d’un nouvel esprit du lieu et du temps, il s’immerge dans une réalité qu’il n’est plus question de comprendre d’en haut.

La Nouvelle Vague, qui s’inspira autant de l’une que de l’autre de ces versions, fut peut-être le seul moment euphoriquement moderne de l’histoire du cinéma : des films qui voulaient coller à leur époque, en témoigner, mais dans une liberté créatrice égale à celle de l’artiste. Les années 60 virent éclore de nombreuses propositions de modernité, voire de modernisme, mais dans des directions infiniment diverses, des grands artistes-cinéastes du cinéma d’art européen aux poètes-cinéastes du cinéma «expérimental».

Où en sommes-nous aujourd’hui, après les années 70 (qui inventèrent le postmoderne, une notion que le cinéma a eu du mal à acclimater), après les années 80 (qui pensèrent constater la mort du cinéma) ? Le livre de Gilles Deleuze, les Histoire(s) du cinéma de Godard, ont répété à satiété ce grand récit d’une histoire du cinéma pliée en deux par la guerre, et ouvrant sur le «cinéma moderne».

Se demander aujourd’hui ce qu’a voulu dire cet engagement essentiel du cinéma dans l’âge moderne, c’est s’obliger à voir que ses principales valeurs demeurent actives dans le cinéma. C’est s’apercevoir que, par-delà les formes passagères de sa modernité, et malgré son phagocytage par les musées, le cinéma tout entier, dans son principe même, est quelque chose comme le dernier art moderne.

Jacques Aumont est universitaire (Paris-3, EHESS) et critique de cinéma (aux Cahiers du cinéma, de 1967 à 1974, puis dans Cinémathèque et Cinéma). Il est l’auteur d’une douzaine d’ouvrages sur le cinéma, principalement d’un point de vue esthétique.

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