PHOTO | CRITIQUE

Model Studies

PPierre Juhasz
@12 Jan 2008

Il est question de peinture dans les œuvres de Elina Brotherus. Ses photographies revisitent les grands genres, comme la nature morte, le nu, le thème de l’homme face à la nature. Elles interrogent la représentation, le tableau et la peinture, de ce qui fait, dans la peinture, tableau. Un questionnement par la photographie d’un au-delà des images où se situerait le tableau.

Ce qui frappe le regard quand on pénètre dans l’exposition des œuvres d’Elina Brotherus, c’est le doute : s’agit-il de peintures ou de photographies ? En s’approchant l’incertitude vite se dissipe pendant que les prises de vue, d’un assez grand format, continuent à produire un effet de tableau. Elles montrent, de façon récurrente, une personne, souvent l’artiste, posant dans un décor intérieur ou en extérieur, fréquemment de dos, au centre d’une image sobre et composée, peut-être, une certaine image de la solitude.

Ainsi, se présente ce nu, accroupi devant une porte vitrée, dans un décor simple, ce nu de dos dont on n’appréhende que le reflet dans un miroir au teint flétri, au cadre élimé, un miroir juste posé au sol sur la tomette, juste adossé sur un mur blanc, dans une lumière douce qui affleure de l’espace et qui effleure la peau.
La surface abîmée du miroir brouille légèrement le reflet, lui donne un caractère pictural, lui procure une densité. Bien peu d’éléments explicites évoquent la Vénus au miroir de Vélasquez et encore moins les intérieurs de Vermeer. Pourtant, sans qu’il ne s’agisse ici de citation, ce reflet est habité par ceux des miroirs peints par Vélasquez comme est hantée la lumière par la lumière du peintre de Delft.

Il est donc bien question de peinture dans les œuvres de Elina Brotherus. Ses photographies revisitent les grands genres, comme la nature morte, le nu, le thème de l’homme face à la nature. En effet, comment ne pas songer à Friedrich et au sentiment du sublime face à ces photographies montrant le modèle de dos, devant un paysage de montagnes de Finlande, surplombant un panorama hivernal grandiose et austère ?
Pourtant, cette référence à la peinture, cette référence voulue par l’artiste, est une évocation troublante et subtile, troublante parce que subtile, loin de toute citation qu’Antoine Compagnon qualifie d’«énoncé répété par une énonciation répétante», donc, loin de tout psittacisme.

Ces photographies proposent plutôt un questionnement de la représentation, du tableau et de la peinture, de ce qui fait, dans la peinture, tableau, un questionnement par la photographie d’un au-delà des images où se situerait le tableau.
C’est cette interrogation qui constitue la série « The New Painting », développée entre 2000 et 2004, après une période beaucoup plus autobiographique. Au dire de l’artiste, ce passage par la référence à la peinture, par le modèle, lui permet une mise à distance nécessaire à ces yeux, aujourd’hui.

Alors, en peinture, comme plus tard en photographie, ou, plus tard encore, en vidéo, il faut un modèle. Le modèle, c’est à la fois celui dont on s’inspire pour accomplir l’œuvre, c’est aussi celui, parfois, que l’on copie, c’est aussi celui que l’on modèle au gré de ses désirs afin de donner forme à l’œuvre, forme à son désir. Le modèle est soumis à la pose, au temps de la pose, comme l’est, au temps de pose, la photographie.
Elina Brotherus a recours alors à la vidéo pour proposer une série qui constitue le titre de l’exposition : «Model Studies». Elle sollicite des modèles professionnels qui revêtent une pose, qu’elle filme, à chaque fois quelques minutes en plan fixe. Deux images verticales ainsi dialoguent dans la galerie, images projetées sur deux murs formant un angle droit. À une échelle un, un modèle masculin ou féminin, nous fait face, nu, immobile, puis, change successivement de pose, après quelques minutes. La représentation est toujours affaire de distance quelle qu’en soit la proximité, semblent nous «dire» ces étranges images qui interrogent le modèle, la peinture et le temps arrêté de la photographie par le temps filmé de la pose.

En 1935, dans la Petite histoire de la photographie, Walter Benjamin écrivait : «Et certes, il est révélateur que le débat a surtout porté sur l’esthétique de la photographie en tant qu’art, et qu’on s’est à peine intéressé, par exemple, au fait social combien plus criant de l’art en tant que photographie». L’art en tant que photographie, la peinture en tant que photographie, c’est probablement ce dont les œuvres d’Elina Brotherus, à leur façon, témoignent, une façon rigoureuse, raffinée et poétique.

Elina Brotherus :
— Model Study 14, 2004. Photo couleur sur papier contrecollée sur aluminium anodisé. 70 x 49 cm.
— Model Study 15, 2004. Photo couleur sur papier contrecollée sur aluminium anodisé. 80 x 63 cm.
— Model Study 12, 2004. Photo couleur sur papier contrecollée sur aluminium anodisé. 70 x 75 cm.
— Model Study 11, 2004. Photo couleur sur papier contrecollée sur aluminium anodisé. 70 x 75 cm.
— Model Study 7, 2004. Photo couleur sur papier contrecollée sur aluminium anodisé. 80 x 113 cm.
— Der Wanderer 4, 2004. Photo couleur sur papier contrecollée sur aluminium anodisé. 105 x 119 cm.
— Der Wanderer 3, 2004. Photo couleur sur papier contrecollée sur aluminium anodisé. 105 x 133 cm.
— Der Wanderer 5, 2004. Photo couleur sur papier contrecollée sur aluminium anodisé. 105 x 136 cm.
— Model Study 5, 2004. Photo couleur sur papier contrecollée sur aluminium anodisé. 105 x 85 cm.
— Der Wanderer 2, 2004. Photo couleur sur papier contrecollée sur aluminium anodisé. 80 x 97 cm.
— Model Study 8, 2004. Photo couleur sur papier contrecollée sur aluminium anodisé. 105 x 75 cm.
— Model Study 1, 2002. Photo couleur sur papier contrecollée sur aluminium anodisé. 105 x 84 cm.
— Model Study 13, 2004. Photo couleur sur papier contrecollée sur aluminium anodisé. 70 x 52 cm.
— Model Studies 1, 2, 3, 4, 2005. Vidéos. Model Studies 1 : 5’; Model Studies 2 : 2’54; Model Studies 3 : 5’; Model Studies 4 : 3’30.

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