Sur l’affiche, une photo improbable: un boxer poids plume vautré sur un immense fauteuil jaune de la collection Roche-Bobois 1973. En écho à cette image choc, un autre uppercut visuel accueille le visiteur sur le seuil de l’exposition: un ensemble de table et sièges monobloc orange vif, conçu par Anne Tribel en 1968 pour la cafétéria du Théâtre de la Ville.
Deux visions qui font «boom», mais un boom beaucoup plus coloré et spectaculaire que celui sur lequel s’ouvre effectivement l’exposition: 1945 et la reconstruction d’une France en ruine, à travers l’exemple du Havre. Cette rupture souligne d’emblée toute la difficulté de l’entreprise: présenter sous un même intitulé «L’Explosion du design en France» une période de trente années marquée par de profondes mutations. Comment faire cohabiter le mobilier fonctionnel de l’immédiat après-guerre, conçu pour répondre aux besoins urgents et massifs de populations sinistrées, avec les extravagances des années 60 et 70, produites pour une génération acquise à la consommation hédoniste?
Sous la nef, les pièces sont présentées par typologie (le bureau, le rangement, le siège) et font la part belle aux créateurs des années 50. Ceux-ci orientent leurs recherches vers la production d’un mobilier de qualité, aux lignes épurées et surtout bon marché. Pierre Guariche est l’un des premiers à expérimenter le contre-plaqué moulé avec la chaise Papyrus (1951). Deux ans plus tard, il propose les chaises Tulipe et Vampire, en polyester armé de fibres de verre. Avec les fauteuils 44 (G. Dangles et C. Defrance) et Copacabana (M. Matégot), les formes rondes et généreuses commencent à apparaître, annonçant les lignes fluides des décennies suivantes. Dans cette première partie de l’exposition, celles-ci sont rassemblées au sein d’une section intitulée «Les Utopies»: structures gonflables de Quasar et Bernard Quentin, mobilier en carton de Jean-Louis Avril, fauteuil Bulle de Christian Daninos, Ribbon Chair de Pierre Paulin…
Un deuxième parcours présente les enseignes qui ont accompagné cette éclosion de la création nationale. À droite de la nef, les Steph Simon, Charron ou encore Huchers-minvielle, avec une sélection centrée sur les années 50. Sur la gauche Airborne, Roset, Prisunic… et des meubles essentiellement produits dans les années 60 et 70. Une répartition discutable (la plupart de ces éditeurs ayant maintenu une activité tout au long de la période) mais qui permet là encore d’éviter le choc visuel entre les créations sobres et rationnelles de la première période et celles, beaucoup plus expressives, des décennies suivantes.
Le rôle joué par ces entrepreneurs dans le développement d’un design «made in France» est indiscutable. Comme le note Dirk Jan Rol: «La création, la fabrication, la distribution, c’est un tout. S’il y a là -dedans quelque chose qui ne correspond pas, tout tombe à l’eau». Pour être complet, il faudrait ajouter à cette Sainte Trinité la presse, la publicité et le merchandising. Le rôle de la première est bien illustré par deux titres emblématiques: La Maison française et, à partir de 1967, la Maison de Marie-Claire. Pour la publicité, on retiendra cette savoureuse annonce d’Airborne, de 1969: une mosaïque de cinquante photos de fesses, sous-titrée «Tout est là ». Enfin, au niveau de l’agencement des magasins, l’amoncellement de meubles en vrac fait peu à peu place à des mises en scène recréant l’intérieur d’une vraie habitation. L’apparition de points de vente exclusifs favorise cette évolution.
Ce qui se dessine finalement derrière ces mutations n’est rien d’autre que l’entrée (enthousiaste) de notre pays dans une ère de consommation de masse. Ce mouvement a t-il vraiment conduit à une adoption massive du mobilier contemporain? À voir. Si des projets novateurs ont trouvé leur place auprès de collectivités, on devine en écoutant le témoignage de Daniel Bernard sur les ventes des créations d’Olivier Mourgue ou celui de Marc Held sur celles de son génial Culbuto que les intérieurs hexagonaux n’ont pas été totalement ébranlés par la déflagration de ce «Mobi Boom».
― Catalogue Roche-Bobois, Le Salon à géométrie variable, détail, 1973. Collection Roche-Bobois.
― Vue de la galerie Steph Simon vers 1965, dans la revue Art et Architecture.
― Christian Daninos, fauteuil Bulle, 1968. Édition Formes nouvelles, 1970. Collection du Musée des arts décoratifs, Paris.
― Quasar, chauffeuse gonflable Apollo, 1968. Éditeur Quasar. Musée national d’art moderne-Centre Pompidou.
― Mathieu Matégot, fauteuil Copacabana 1955. Paris, galerie Jousse Entreprise
― Intérieur meublé avec des éléments Minvielle, Le Décor d’aujourd’hui, n°94, 1955.