Pierre Guariche, Joseph-André Motte, Charlotte Perriand, Jean Prouvé, Marc Held, Roger Tallon, Olivier Mourgue, Pierre Paulin…
Mobi-Boom, l’explosion du design en France
1945-1975: tout au long de cette période dite des Trente glorieuses, la création de mobilier se modifie profondément tant dans les formes que dans les matériaux. Suivant l’évolution du mode de vie, cette révolution s’accompagne d’une démocratisation de la production grâce au mobilier de série et à la création de nouveaux circuits de distribution.
C’est l’avènement de la table basse, du canapé lit, des modules de rangement, du meuble multifonction. C’est aussi celui du Formica, des mousses, du plastique, qui offrent aux créateurs la possibilité d’imaginer de nouvelles formes. Du rationalisme des années 1950 à l’utopie des années 1960, ces nouveaux objets sont enfin à la portée du plus grand nombre.
Ce phénomène sans précédent est dû à une nouvelle génération de créateurs et d’éditeurs audacieux et d’un nouveau type de diffusion. À travers une sélection de plus de 150 créations signées Pierre Guariche, Joseph-André Motte, Alain Richard, Charlotte Perriand, Jean Prouvé, Marcel Gascoin, Marc Held, Roger Tallon, Olivier Mourgue ou Pierre Paulin, ce sont les diffuseurs et les éditeurs comme Roche Bobois, Roset, Airborne, Huchers Minvielle, Prisunic, Mobilier International, Meubles TV, Steiner, ou Steph Simon, qui sont mis en avant.
Cette exposition est réalisée avec le concours du CERMA (Centre d’expérimentation et de recherche sur le mobilier actuel).
Un nouveau mode de vie
Le contexte économique, social et artistique de l’après-guerre est marqué par différents bouleversements. Les modes de vie changent et l’habitat se modifie en profondeur. On assiste à l’émergence de nouvelles formes architecturales liées à la Reconstruction. Fonctionnalisme et rigueur soufflent aussi sur la production de mobilier des années 1950. Les nouveaux bourgeois rejettent les meubles de style de leurs parents et leurs appartements sont plus petits. Le rangement devient la grande préoccupation de l’époque. Les créateurs comme Charlotte Perriand, Pierre Jeanneret ou Marcel Gascoin sont les initiateurs de cette réflexion. Mais pour répondre aux besoins de l’équipement, le rangement s’industrialise, et des fabricants comme Minvielle proposent, via leurs catalogues, des meubles transformables et multifonctions à monter soi-même.
L’émergence des nouveaux matériaux et des nouvelles typologies de mobiliers 
Mais plus que tout, l’émergence de nouveaux matériaux stimule la création. Le métal et les panneaux de particules remplacent les bâtis de bois traditionnels, les polymères et les dérivés du bois comme le contreplaqué ou les mélaminés habillent les formes nouvelles, les mousses et le PVC vont jusqu’à faire disparaître toutes les structures du siège…
Le Joker, siège dessiné par Olivier Mourgue pour Airborne en 1959, n’est possible que grâce à la mise au point d’un fer spécial permettant une souplesse exceptionnelle. Le Meuble Bar Télévision de Jacqueline Philippon Lecoq est, lui, le résultat du concours Formica de 1959. Le contreplaqué moulé utilisé par Pierre Guariche par exemple avec ses sièges Papyrus et Tonneau permet de créer des lignes courbes et de développer des formes soucieuses d’ergonomie et de confort. Les bahuts sont suspendus ou étirés en longueur, la table basse fait son apparition au centre du salon, les luminaires sont revus dans leurs formes et leurs fonctions : articulés et privilégiant la réflexion de la lumière. Les créateurs comme Jacques Dumond, Philippon-Lecoq, Etienne Fermigier ou Joseph-André Motte, sont les grands représentants de ce style aux lignes épurées d’une grande élégance.
Du rationalisme de l’après guerre à l’utopie des années 1970
Au milieu des années 1960, cette vision minimale du mobilier s’estompe au profit d’une vision plus hédoniste, voire impertinente. Lignes fluides et souples, couleurs et transparences, chassent l’orthogonalité, le blanc et le bois naturel. On achète moins de tables et de bahuts, on préfère les sièges dans lesquels on s’allonge. Les créations les plus originales naissent d’une nouvelle équation en phase avec l’esprit de mai 1968, liberté et confort, avec par exemple le Tapis siège ou série Djinn d’Olivier Mourgue, Dos à dos, Face à face, Déclive, Amphis de Pierre Paulin, sièges Asmara de Bernard Govin pour Roset. Le siège prend pour la première fois la forme d’une ligne fluide déroulée dans l’espace.
Ce changement de style pour une vie plus décontractée est enfin accessible grâce aux réponses apportées par Roset avec la création par Michel Ducaroy à partir de 1965 des canapés tout en mousse Adria, Kali et l’indémodable Togo, ou encore de Roche Bobois avec les ensembles Lounge et Dromadaire du créateur Hans Hopfer dont le canapé est conçu comme un jeu de construction. Placés au centre de la pièce les sièges délimitent un nouvel espace: l’aire du Living room. Dans le même temps apparaît le mobilier gonflable dont les modèles oscillent entre des formes classiques du Chesterfield de Quasar aux structures plus futuristes de Bernard Quentin. Le plastique, ce matériau emblématique du début des années 1970, offre une variété infinie de formes et de couleurs. Marc Berthier décline les nombreux modèles de sa collection Ozoo dans des couleurs franches. Le lit de Marc Held pour Prisunic témoigne de ce succès pour le tout plastique. Cinq cents exemplaires sont commandés en un mois. Mais le choc pétrolier en 1974 va brutalement arrêter sa production et transformer ce lit pour tous en un objet de collection.
Edition-diffusion: vers la démocratisation du design 
La création est stimulée par les éditeurs d’avant garde que sont alors Roset, Steiner, Airborne, pour les sièges ; Meubles TV, Huchers Minvielle, Charron, pour les meubles ; Luminalite, Disderot pour les luminaires. L’accès à leur nouveau type de mobilier passe par l’ouverture de magasin et le développement d’un réseau de distribution tant à Paris qu’en province. L’histoire de Charles Minvielle est emblématique de cette industrie naissante. En endossant à la fois le rôle de l’éditeur et celui du distributeur, il parvient à convaincre des patrons d’entreprises familiales de créer des corners réservés au mobilier contemporain. Pionnier, il sera suivi par Roche Bobois et Roset.
Parallèlement ces éditeurs, sur le modèle de la Boutique Knoll, ouvrent différents magasins en apportant une grande attention à la présentation de leurs vitrines qui suscitent surprise et intérêt prenant valeur de manifeste. Dans les années 1960 chaque grande ville de province (Tours, Nancy, Grenoble, Annecy, Bordeaux, Nice et Rennes…) a une enseigne Roche Bobois. De même qu’un réseau de diffusion se constitue à travers la création de nombreux magasins comme Le Bihan à Paris, Tomasini à Grenoble, Schmidt et La Casa à Metz ; Angel à Nancy ; Verhoeyen, concessionnaire de Mobilier International et Knoll à Lille ; Arrivetz à Lyon, Galvani à Toulouse ou encore la Maison Grégoire à Marseille.
Les grands magasins suivent: parmi eux Prisunic se montre le plus innovant en lançant la vente de mobilier de créateurs sur catalogues. Terence Conran, Olivier Mourgue, Gae Aulenti, Marc Held dirigent chacun à leur tour ces nouvelles parutions.
L’exposition
Dans une scénographie de Pierre Charpin les oeuvres sont mises en regard d’une iconographie riche constituée de photos, d’affiches publicitaires et d’interviews filmées, faisant revivre l’euphorie des Français pour ce nouveau type de mobilier. Dans la nef, un ensemble de pièces de René Gabriel et Marcel Gascoin conçu pour le Havre, reconstruit par Auguste Perret, ouvre l’exposition. Emblématiques de l’immédiat après guerre, ils incarnent l’esprit rationaliste des créateurs liés aux nouveaux besoins. Sont ensuite présentés, les objets de cette époque réunis par typologie: sièges, rangements, bureaux, luminaires. Les utopies de la fin des années 1960 avec des meubles en carton et gonflables bouclent cette section. De part et d’autre de la nef, les grandes enseignes qui ont contribué à cette démocratisation du design sont présentées à travers une sélection de leur mobilier mais aussi, d’interviews des principaux protagonistes. Les univers de Mobilier International, Roche Bobois, Meubles et Fonction, Airborne, Ligne Roset, Prisunic, Steph Simon, Charron, Steiner, Huchers Minvielle, Meuble TV et Knoll sont ainsi successivement évoqués.
Le livre
Publié à l’occasion de l’exposition, l’ouvrage explique comment, en se démocratisant, le mobilier moderne a fait son entrée dans les intérieurs français. Son approche large — histoire culturelle, esthétique, technique, économique — en fait un livre incontournable pour comprendre en profondeur les enjeux de la création de ces années charnières. Il présente bien sûr les créateurs et leurs réalisations connues ou moins connues, qui sont remises dans leur contexte grâce à des documents d’époque. Le livre contient aussi un dictionnaire biographique de plus de 100 créateurs et éditeurs de mobilier, ainsi qu’un DVD incluant 16 interviews des principaux acteurs de l’époque.
critique
Mobi-Boom, l’explosion du design en France