L’exposition «Mixed media» invite à toucher la matière de près et à renouveler son expression par d’étranges collages. Le designer Eric Benqué, excelle dans cet art du choix. Il semble poser comme postulat la manipulation tactile et visuelle pour redonner à l’usage quotidien une dimension qui appartient au passé. Il nous renvoie aux pratiques des ateliers des ébénistes du XVIIIe siècle, qui faisaient goûter aux cours royales les charmes de la composition marquetée, des incrustations de pierres dures ou de plaques en porcelaine de Sèvres. Les grands décorateurs de l’Art déco ont renoué avec ces matériaux riches et élégants, galuchat, parchemin, laque qui fascinent encore par leur infinie délicatesse.
Cette sensualité des contrastes et des rencontres, Eric Benqué la réinvente avec une vision ultra-contemporaine. Il distille dans ses compositions en trois dimensions des émotions liées au détail caché d’un petit feutre qui fait la transition entre le plateau de marbre de Marquina de la table basse et le piétement de chêne; dans la fente du banc de chêne s’immisce la tapisserie de la manufacture de Cogolin; le cuir entrelace les panneaux du secrétaire, des panneaux dorés à la feuille contrastent de leurs reflets avec la matité du liège expansé. Eric Benqué parle aux sens et fait sensation dans l’infime.
Mais l’art de composer avec le matériau ne constitue pas la seule richesse de cette gamme de meubles qui comporte deux présentoirs, une table basse, la table de salle à manger, le banc, un secrétaire et son pliant.
Avec une méthode déjà révélée dans son exposition «Planches», en 2008 à la Galerie Emmanuel Perrotin, et dans divers chantiers privés, Eric Benqué invente un bricolage constructif, une réflexion sur la structure et l’assemblage des plans qui le rapproche du métier du charpentier ou du huchier du Moyen-âge.
Sa technique, fondée sur la manipulation et de nombreuses maquettes, réussit un jeu de montage à la fois simple et sophistiqué qui supprime tenons et mortaises, les plans étant simplement emboités, clipsés, tenus par des formes dessinées au millimètre.
La table de salle à manger semble un jeu de casse-tête chinois, sorte de «Kapla» d’ingénieur en forces et tensions, avec une référence à la table à tréteaux, table primitive. Le secrétaire tient «sans vis ni boulons» par le phénomène du jeu souple des bandes alternées, de la housse qui viennent gainer le panneau rigide.
Pour finir cette étude de secrétaire nomade, le designer invite le sellier à lui concevoir le patron de cuir qui de pattes en encoches fige l’équilibre du meuble. Surprenante démonstration prolongée par une notice explicative: le tabouret pliant. Le banc est mis en forme dans une subtile réflexion ergonomique mêlant le chêne traditionnel et noble avec le travail du tapissier, l’œuvre tissée fusionne avec le bois par pression et ajustement, sans clous ni agrafes.
Comme deux sculptures tridimensionnelles, les présentoirs étonnent et forment contrepoint. Comme une architecture fragmentée, ils invitent à replacer les meubles dans un espace ouvert et au-delà de leur putative fonction, ils signifient le manifeste du designer: l’épure et la simplicité ne sont pas synonymes d’indigence, une démarche d’écoconception ne se traduit pas nécessairement par un rendu brutaliste.
Eric Benqué a tout compris de l’enjeu du design contemporain: regarder vers le futur avec une intelligence manuelle du processus de fabrication, de l’écoute du savoir-faire des artisans et le désir de séduire par le sensible.
Un militantisme rare dans une société fascinée par le prototypage rapide. Le jeu de construction à la façon de «l’autoprogettazione» d’Enzo Mari en 1974, combiné au regard innovant et raffiné d’un André-Charles Boulle constitue le paradoxal portrait de ce designer de grand talent.
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Edition galerie Mouvements Modernes