La rue de la Gare, qui relie depuis 1863 Aubervilliers à Paris. Un territoire aujourd’hui en friche, en attente, entre destruction et reconfiguration, figurant sur les cartes et documents officiels sous le nom de ZAC mais échappant de fait à toute velléité de contrôle. Non pas pour autant un no man’s land à l’abandon mais un lieu — une zone ou, si l’on préfère, une TAZ (zone autonome temporaire) qui, cependant, n’est pas si autonome que cela — que se sont réapproprié à leur manière tant la végétation, toujours à même de repousser dru là où rien n’est plus supposé pouvoir pousser, que différentes populations, squatters, migrants de diverses origines et «usagers» furtifs qui côtoient les ouvriers du chantier en autant de trajectoires avec chacune ses lois propres, son ordre propre.
Non pas un lieu condamné à mort — et nous condamnant à la mélancolie — mais un lieu de mémoire au sens fort — débarrassé de toute nostalgie — du terme, tant mémoire brève que mémoire longue, court-circuitant différentes temporalités, brassant différentes strates temporelles, mêlant couches de temps, de végétation et de population. Lieu de mémoire et d’attentes de toutes sortes, d’attentes et d’inattendu. De mémoire et d’oubli. Et, plus encore, lieu de vie, bouillonnant de vie, bourré de formes de vie, de vie ou, tout autant, d’art (art sans art, architecture sans architecte…), productions de la débrouille et de l’inventivité de ceux qui sont venus, pendant un temps, s’y inscrire.
Lieu qu’en aucun cas, il ne s’agit ici ni de muséifier ou de spectaculariser ni d’idéaliser (en en faisant une hypothétique micro utopie) ni même de préserver (ce qui serait en fait le moyen le plus sûr de le condamner à mort) pas plus que d’en préserver à tout prix l’altérité. Non pas objet d’enquête mais lieu-sujet que l’on s ‘est efforcé de respecter en tant que tel en en respectant non pas tant l’altérité que l’hétérogénéité. Lieu, davantage que de prélèvements, de rencontres, en l’absence de tout «hasard objectif» mystificateur comme de toute entreprise, toujours ambiguë, de remédiation sociale. Lieu dont l’on s’est seulement efforcé de dresser non pas la mais les cartes, tout un jeu de cartes, de relevés, nécessairement multiples, fragmentaires et hétérogènes, voire hétéroclites. Comptes-rendus de pérégrinations, actes de rencontres…
Lieu que l’on s’est seulement efforcé d’inventorier — sans viser aucune exhaustivité —, de « documenter » — si, du moins, l’on n’exclut pas de là pour autant tout élément de fiction. Non pas de l’extérieur, à partir d’une position d’extériorité ou d’exterritorialité, mais de l’intérieur —en contribuant, si modestement que ce soit, non seulement à sa visibilité mais à son devenir (devenir-paysage, devenir lieu de vie, devenir-art…) — et dans la durée — à territoire in progress inventaire lui-même in progress, toujours à revoir —, et avec, dans la mesure du possible, le concours des «documentés» : dès lors que l’observateur devient «participant», il apparaît souhaitable que le documenté se fasse «de son côté» lui-même documenteur (et le documenteur documenté).
Artistes
Eric Bouttier, Sandra Calligaro, Nils Duval, Nicolas Dhervillers, Marie Gandois, Séverine Giordan, Valérie Grand, Pierre Marilly, Laura Morsch, Sigrid Séverin, Hortense Soichet, Félix Tailliez, Anne Zeitz
Directeurs artistiques
Jean-Claude Moineau –
Jean-Pierre Porcher.
Cette mission a été soutenue par la compagnie ICADE / EMGP