PHOTO | CRITIQUE

[Mission] Rue de la Gare.

PMarie
@12 Jan 2008

Rue de la Gare. Aubervilliers. Zone en réhabilitation. Des objets traînent au sol, abandonnés, seuls, comme vestiges d’une présence passée. Au cours de ses errances dans ce lieu comme en suspend, oscillant entre vie présente et vie passée, Marie Gandois concentre son regard sur des jouets et des chaussures dressant ainsi son inventaire témoignant des traces du passage.

Mon travail est celui d’un inventaire non exhaustif pour inventer la mémoire : il y a, il y a ici et maintenant. Inventaire de certains restes de présence. Mes objets, mes images parlent de présence, de vie, de passage, de mémoire.

Je n’ai jamais mis en scène ces objets, ne les ai jamais déplacés, ils font partie intégrante de l’errance que j’ai menée dans ce lieu. Pas de déplacements outranciers, pas d’ajout, aucun objet n’a été amené de l’extérieur de la rue. Rencontre. Ils sont là, presque imperceptibles à un regard noyé de chaos et pourtant si présents. Une présence qui attire mon attention : surprise de l’événement.

J’ai rencontré plusieurs types d’objets, allant du paquet de feuilles à rouler à un caddie de supermarché renversé et déstructuré, en passant par une perruque, une bombe de peinture ou un poste de télévision éventré. J’ai retenu deux séries : l’une de chaussures toujours seules, la paire n’ayant jamais été rencontrée et l’autre de jouets.

Ce choix des chaussures et des jouets car ce sont les objets à la fois symboliquement forts et que j’ai trouvé en plus grand nombre, ce qui alors me permettait de faire fonctionner un inventaire via un même objet. J’aurais pu prendre le parti pris de produire un inventaire d’objets différents, mais alors je n’aurai plus servi de manière aussi précise et franche mon propos qui est avant tout de parler de l’humain, des habitants de la Rue de La Gare présents, passés ou futurs. Un parti pris social qui se traduit plastiquement par un souci du détail.

Une chaussure, jamais par paire, comme trace, comme reste de passage, comme bribe d’histoire à créer ou à imaginer.
Des jouets relativement neufs et reluisants. Il y a un caractère intouché dans ces objets qui contraste avec l’entropie ambiante. J’ai joué sur ce contraste par mon protocole de prise de vue. Allongée, au sol, face à mon objet, par une mise en avant de ce dernier au premier plan et une profondeur de champ plus ou moins nette, je détache l’objet du reste de l’image, c’est bien de lui dont je veux avant tout parler, tout en laissant reconnaissable l’endroit, l’environnement dans lequel je les ai trouvé. La contextualisation est primordiale et très importante.
Très attentive à respecter ce protocole de prise de vue tout en m’adaptant à l’environnement de l’objet et à ses particularités aussi. Rigueur de prise de vue sans pour autant tomber dans l’unicité du traitement tout autant de l’objet que de son milieu. Cette méthode aussi pour accentuer le contraste entre les jouets comme neufs et le chaos de l’environnement et, pour ce qui est des chaussures, pour leur donner une nouvelle forme.

A ces deux séries s’ajoutent deux autres images faisant partie des tirages collectifs. On retrouve une jante de voiture sur le bord de la route, un blouson qui prend une forme presque animale.

Il n’y a donc pas de mise en scène de ces objets. Je suis allée à leur rencontre pendant huit mois, je les ai cherchés avec attention. Mes errances Rue de La Gare comme un chasseur à l’affût de traces.

Des chaussures et des jouets qui révèlent l’absence-présence des habitants de la rue, qui l’intensifient. Ils participent à l’environnement, à son apparaître, à son inventaire. J’ai donc tenté de construire un certain réel de par et grâce à cet inventaire ; je le rappelle non exhaustif, mais qui à participé à la découverte de ce lieu, de ce territoire comme élément singulier d’observation dans un certain laps de temps.

Cette rue est en devenir. Cet inventaire s’ancre dans une logique de transformation du territoire et de travail de groupe, plusieurs photographes ayant à leur manière inventorié cette rue.

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