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Miss.Tic (Art urbain)

Deuxième portait consacré aux artistes urbains. Figure historique des années 80, Miss. Tic se sert des murs de Paris comme les pages d’un journal intime. Autoportraits et autobiographiques, ses pochoirs hantent les mémoires et les pierres parisiennes. La Femme-Mur expose dans le Marais à la Nuts Gallery.

paris-art.com ouvre ses colonnes à une longue série d’interviews consacrée aux artistes urbains. La succession des portraits permettra de découvrir les visages et les pratiques de ces artistes qui transforment la ville en galerie à ciel ouvert.
Miss. Tic nous replonge dans l’ambiance poétique et utopique des années 80, où les barricades laissaient la place aux palissades. La lutte pour le pouvoir était délaissée au profit de la prise de parole. A l’époque, la liberté s’affichait dans les médias et dans les arts. On parlait alors des radios libres et de la figuration libre.
Depuis vingt ans, cet écrivain public, si particulier, reste fidèle à elle-même. Son travail, pourtant si visible, reste méconnu. Sa médiatisation macadam la marginalise des institutions muséales. A la croisée de l’art corporel, de l’art conceptuel, de l’art politique et du féminisme, elle reste oubliée des historiens de l’art.
Alors qu’outre-Atlantique les Keith Haring et les Basquiat sont célébrés, à titre posthume précisons-le, elle reste en France confinée dans un genre urbain “mineur”. Son journal intime s’écrit depuis vingt ans sur les murs de Paris, alors que Jenny Holzer et Sophie Calle sont célébrées. Comment expliquer un tel silence sur son travail? Explications.

Pierre-Évariste Douaire. Votre exposition à la Nuts Gallery vous permet d’expérimenter un nouveau support pour vos pochoirs, une sorte de papier mâché.
Miss. Tic. J’ai utilisé une nouvelle technique, j’ai fait une empreinte en silicone d’un mur, ensuite j’ai fait une cire avec laquelle j’ai fait un moule en élastomère, dans lequel j’ai mis de la pâte à papier qui a été pressée par une machine. Le séchage a duré deux semaines.

Vous aimez changer de support?
Oui souvent. C’est un besoin pour moi de ne pas toujours faire la même chose.

Femme-Mur est le titre de votre exposition à la Nuts Gallery, doit-on y voir un constat ? Je pense à un bilan sur le temps qui passe, sur vous, et sur vingt ans de pratique de rue.
Je ne dirais pas que c’est un bilan, mais par contre j’arrive à un âge où je peux dire que je suis une femme mûre.

Mais pourquoi continuer à travailler dans la rue?
C’est une pratique qui m’intéresse, et puis c’est toujours une façon d’avoir un public. Je suis opiniâtre.

Vous semblez liée de façon amoureuse à Paris. Le début de votre carrière a commencé en 1985 par une rupture sentimentale. Cela vous a entraîné à écrire avec un pochoir sur les murs. Ces phrases anonymes, vous les avez ensuite signées par votre autoportrait, pour vous faire bien comprendre de votre petit ami. C’est ce qui a décidé de votre pratique?
Entre-autre, mais surtout c’était plusieurs choses à la fois: l’espace de la rue m’intéressait, je venais du théâtre de rue, je pratiquais les arts appliqués, je fréquentais les gens qui sortaient dans la rue à ce moment là, et ensuite seulement, c’est la réflexion de cet ami qui m’a déplue et qui a été un révélateur. Mais depuis, j’ai quitté ces préoccupations, et de toute façon je n’ai jamais jeté des petits mots qui lui était destinés personnellement, je lançais plus un défi.

Vous semblez entretenir un rapport amoureux au mur?
A la ville. J’ai un rapport amoureux à la ville!

A l’opposé d’un Némo (l’homme noir) ou d’un Mesnager (l’homme blanc) votre silhouette n’a pas l’air d’avoir envie de se promener dans les villes du monde entier?
Non pas du tout, je n’ai pas les moyens de m’installer trois mois, six mois, dans une autre ville. Ce n’est pas que ça me déplaît, c’est plutôt que les moyens de production me manquent.

Le fait d’utiliser la langue, le français, est-il un frein à votre expansion territoriale?
Peut-être, mais je suis déjà intervenue en Allemagne avec un très bon traducteur. Il y a des textes qui s’y prêtent et d’autres pas, mais cela ne constitue pas une barrière infranchissable car, de toute façon, je trouverai des solutions. Si j’étais invitée par des municipalités, je serais attirée pour travailler dans des villes comme Lisbonne ou Barcelone.

Je suis étonné que l’on ne vous fasse pas une place plus grande dans le monde de l’art contemporain.
Moi non plus je ne comprends pas.

Pourtant vous êtes à la croisée des travaux conceptuels, féministes…
…corporels, physiquement engagés.

Tout à fait! Vous n’avez pas réussi à conquérir ces territoires institutionnels que sont les musées?
Je ne sais pas… J’ai déjà été en demande quelquefois face à des institutions, mais je n’ai pas eu de retour… J’ai beaucoup d’adversité, rien ne m’est donné, tout est encore à conquérir.

Pourtant une artiste comme Jenny Holzer a commencé à écrire dans les rues de Manhattan.
Oui, mais c’est les États-Unis, c’est pas pareil! C’est comme Basquiat, si j’avais eu la chance de rencontrer un Andy Warhol… Oui mais voilà, il n’y en a pas en France, et puis ici on est très conservateur. J’aurais fait un tabac aux États-Unis.

Peut-être, mais le travail d’Holzer à changé d’ampleur quand elle est passée à des formats monumentaux, comme par exemple quand elle a investi les panneaux lumineux de Time Square.
Mais moi aussi je suis prête à changer de dimensions. Au contraire, j’aimerais bien! Après, ton travail, il bouge, il évolue, il change.

La différence entre vous et Jenny Holzer, n’est-ce pas plutôt une différence entre Paris et New-York ? Une différence entre une ville qui gratte le ciel avec ses néons, et une autre qui est emprisonnée dans ses murs de pierre?
Ce n’est pas une question de mur ou de géographie, mais d’état d’esprit.

Je ne vous imagine pas dans une ville verticale, avec des bâtiments très grands.
Je pourrais très bien faire des pochoirs à New-York, car la taille de l’homme est la même partout. La difficulté ne tient pas à la hauteur de l’horizon mais à l’ouverture d’esprit des gens. A Paris, mes pochoirs sont discrets, mais j’ai déjà proposé à la mairie de réaliser des grands murs pignons, malheureusement cela m’a toujours été refusé.

A bon? Je pensais que c’était une discrétion de votre part, car à Belleville il y a le Géant de Mesnager, Combas a également un mur, vous avez été mal entendue?
Ou pas entendue du tout, mais bon je ne renonce pas…

A part les Etats-Unis, il y a des artistes en France qui travaillent comme vous sur le journal intime, je pense à Sophie Calle, pourquoi n’êtes-vous pas plus sollicitée qu’elle?
Peut-être que l’on ne fréquente pas les mêmes trottoirs.

Comme vous, elle se met en scène, elle recueille des confidences, elle utilise la photographie. Quel est votre rapport avec ce médium ?
La photo, c’est pas franchement mon truc. C’est quelque chose que je délègue souvent. Des fois, je travaille avec des photographes qui m’assistent et à qui je donne des indications, je joue le rôle du directeur artistique. Ce n’est pas une technique dont j’aime m’encombrer. Je ne délire pas sur la photographie. Elle est pour moi un témoignage de mon travail de rue, mais il m’arrive de faire parfois des expos uniquement de photos, comme pour « Muses et hommes » où j’ai exposé de très grands tirages. La photo, c’est de temps en temps, j’aime bien ne pas être attachée qu’à la photo.

Et dans ce genre d’expo où est l’œuvre?
C’est la photo, mais ce n’est pas systématique.

Vos cadrages sont toujours très fermés.
Pas toujours, dans mon premier livre, où il y avait des photos, on voyait la ville mais très peu de personnages. Dans « Muses et hommes », j’ai laissé une photo où l’on voyait des personnages, je voulais à partir d’elle initier une série, mais elle n’a pas vu le jour. Je ne ferme rien, tout est possible, je n’ai pas de systématisme.

Quel rôle joue pour vous le livre? Le dernier, publié en 2003 aux éditions Alternatives, s’intitule Regarde-moi.
J’ai mis longtemps pour publier. Les éditions Alternatives, je les ai contactées en 1990 pour la première fois. J’ai été refusé et j’ai dû attendre sept ans avant d’être éditée, et depuis ça va, je touche un large public, mais avant ça j’ai dû me heurter à un petit état d’esprit qui me répondait que mon travail n’était pas fait pour l’édition. Re garde-moiest l’exemple graphique d’un travail qui sort de la rue sans pour autant la renier.

Sur les gouttières de Paris on peut lire partout “Art is Stick”, vous ne semblez pas adepte de la quantité, vous recherchez plus le coin idéal pour vos pochoirs.
Je choisis. Au début j’en mettais plus, car je n’avais pas une grande visibilité, maintenant mes pochoirs passent moins inaperçus, on y fait plus attention.

Certains quartiers vous sont-ils étrangers?
Il y a des quartiers comme le huitième ou le seizième qui ne m’inspirent pas. C’est très hausmanien, mais ma réticence reste au niveau de l’architecture, pas du public, parce que c’est quand même eux qui m’achètent. Et puis aussi c’est des endroits très fliqués, alors pour obtenir des autorisations, c’est compliqué.

Est-ce que votre travail peut se décliner sur des architectures contemporaines?
Je sais pas trop, c’est pas trop mon style. Quoique sur le verre, les pochoirs ça rend très bien. Récemment, j’ai été au centre commercial Italie et il y a des colonnes en verre que je trouve vraiment belles, et sur lesquelles j’ai envie d’intervenir. Il y a une vie à l’intérieur de ce centre commercial, j’ai vu des gens passer leur journée à l’intérieur, j’ai vu des petits vieux. Non, le verre ça peut-être très beau, comme le plexi.

Comment vous accommodez-vous des changements architecturaux de Paris?
L’essence d’une ville, c’est de bouger. Le discours “c’était mieux avant” m’agace. Tout change, et je dirais heureusement. Mais c’est vrai que j’interviens plus facilement à la Butte-aux-Cailles que sur les grands bâtiments des années 70 de la porte de Choisy, effectivement.

Quel regard portez-vous sur cette nouvelle génération d’artistes qui investit la rue?
Je suis attentive, mais c’est comme le reste, il y a des choses sur lesquelles je suis plus ou moins sensible. Je suis intéressée par cette effervescence, après je peux trouver un travail gadget ou très profond, ça dépend.

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