Le plus grand des cubes blancs du Crédac s’offre une nouvelle reconfiguration, qui, en un sens, en régénère l’une des fonctions initiales, puisque, à l’instar du dispositif cinématographique, l’installation de Claire Maugeais projette le spectateur dans un ailleurs, imaginaire et incertain.
Quelques lignes de couleur au sol guident bien ses pas, lui proposent des points de vue, ou plutôt des distances d’observation, qu’il lui faut transgresser: l’accommodation visuelle, la Mise au point, n’est en effet pas aisée, voire délibérément contrariée.
«Que voit-on quand on voit ce qu’on voit ?», pourrait-on se demander, en paraphrasant l’artiste. Sur les parois internes du cube sont collées les faces externes d’autres cubes: façades de villas balnéaires de Royan, construites dans le style moderniste d’après-guerre, ici réduites à une structure binaire de plein et de vide, de noir et de blanc, obtenue par duplication agrandie à la photocopieuse.
Villas fermées pour l’hiver, aux fenêtres aveugles tournées vers un océan invisible. Ces façades éparpillées sur les murs sont de dimensions diverses, qui simulent un étagement de plans, un effet de proximité ou d’éloignement.
Mais ces motifs, qui ouvrent un espace dans l’espace, tout en le refermant sur lui-même, ne sont que le fond d’accrochage de tableaux, à la limite de l’imperceptible. La toile se révèle être une trame blanche d’architecte, un canevas au point grossi, sur lequel l’artiste a brodé au fil de soie un paysage cézannien, qu’elle a retourné au mur.
Ne reste de ces paysages que l’envers du décor: des pointillés, des raccords, des noeuds, et un tracé assourdi par la trame, qui paradoxalement lui confère de la profondeur.
Ce dispositif laisse donc le spectateur dans un curieux entre-deux insituable, pris dans un jeu de tensions multiples qui parcourent l’installation, entre envers et endroit, dedans et dehors, exclusion et inclusion.
Tensions que l’on retrouve condensées dans les Dégoulinades. Soie chatoyante, peinte de motifs rouges qui évoquent un paysage urbain, ravalé par les plis de l’installation en forme de stores vénitiens, des rideaux dont la transparence est inutile, et l’opacité brouillée.
L’œuvre de Claire Maugeais, qui appâte le spectateur par des motifs familiers, répétitifs, et modulables, comme du papier peint, ou des Fonds de sauce réutilisables pour divers accommodements (dont la petite salle offre des échantillons variés), se refuse au décoratif, et s’avère plus conceptuel que ces matériaux ménagers ne le laissaient attendre : un travail in situ qui engage la réflexion du spectateur sur sa propre place, et sur la fonction de l’œuvre, qui délaissant toute idée de représentation, ouvre l’espace vers des horizons indéterminés, à investir.
Claire Maugeais
— 8 paysages par derrière, 2001. Grille architecturale, fil de soie. 50 x 70 cm.
Installation d’échantillons de fond de sauce
— Où es-tu lorsque tu es là où tu es ?, 1993. Installation Galerie Sequenz, Francfort. Papier peint.
— Rêve de Jardin, 1994. Poster Friche de la Belle de Mai, Marseille.
— Rêve de Jardin, 1994. Friche de la Belle de Mai, Marseille, 1994. Arbres photocopie noir et blanc.
— Rêve de Jardin n°2, 1997, Exposition Astérides, Marseille. Arbres photocopie couleur bleue.
— Forêt, 1999, Exposition Galerie Françoise Vigna, Nice. Pin Villa Medicis, photocopie noir et blanc.
— Rond rouge, 2001. Ronds moquette rouge 9 cm.
— Joshua Tree Palm beach, 2001, Festival de Cannes. Joshua tree, photocopie noir et blanc.
— Empreinte Agence Mogador, Paris, 2001. Photocopie noir et blanc.
— Trait crayon à papier, 1997, Atelier Nadar, Marseille. Trait de crayon à papier tous les 50 cm.
— Et tous ils veulent voir la mer n°3, fond de sauce, 2002. Photocopies noir et blanc.
— Paysages par derrière, 2002. Grille toile à ombrer, fil de soie. 135 x 170 cm.
— Dégoulinades 1 et 2, 2002. Soie imprimée rayée de deux couleurs, teinture.