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Mirrors

PKatrin Gattinger
@12 Jan 2008

En faisant parler les miroirs, Nedko Solakov retourne les rapports entre le visiteur et l’objet d’art. On ne contemple plus, on est placé sous le regard de l’objet, questionné et jugé par lui. Une manière d’interroger l’art et d’ébranler des certitudes.

« Miroir, gentil miroir, dis moi… » Ce que la reine dans Blanche Neige nomme gentillesse est plus exactement l’honnêteté du miroir, son impossibilité à lui mentir. Ce qui d’abord la rassure, l’inquiète quand le miroir ne répond plus exactement ce qu’elle attend, quand il proclame qu’une femme plus belle qu’elle existe hors du royaume, au-delà des monts. Ce miroir voit la vérité hors cadre !

Les miroirs de l’artiste bulgare Nedko Solakov sont autrement plus déconcertants. Sept miroirs, placés dans d’opulents cadres dorés, disposés en vis-à-vis dans la galerie, ne reflètent que la blancheur des murs. En s’approchant, on peut cependant apercevoir quelques mots inscrits en anglais sur le bord intérieur du cadre : « Puis-je voir votre dos, s’il vous plaît ? Je suis un miroir très sophistiqué et je suis fermement opposé à servir votre visage ordinaire. Néanmoins restez dans le coin au cas où je changerais d’avis. »
Comme le « gentil miroir » qui trahit Blanche-Neige un peu malgré lui, ceux-ci ne reflètent pas de visages sans émettre de commentaire. Loin de complimenter ou rassurer, ils irritent ou parfois injurient. Plus encore, les textes écrits à la main sur chaque cadre invitent le visiteur à faire des grimaces : « Ouvrez votre bouche ! Plus… plus… un peu plus encore. Plus ! Restez ainsi aussi longtemps que possible et tout va s’arranger. » Comme si le miroir voulait intervenir sur la réalité qu’il est censé seulement refléter.

D’un miroir à l’autre, sont en fait interrogées les notions de visible, vision, visibilité, reflet, réalité et vérité. Il apparaît ainsi tour à tour que la Vérité n’est pas dans le reflet (« Vous êtes tellement moche ! Heureusement ce miroir est suffisamment poli pour ne pas vous dire la vérité »), et que la vision ne prouve rien (« Fermez vos yeux, s’il vous plaît. Votre reflet sur mon visage sera toujours là. Quel heureux miroir, suis-je. »). Dans leur toute puissance, deux miroirs prétendent même être pourvus d’odorat (« Vos pieds puent, n’est-ce pas ? ») et connaître d’autres espaces-temps.

En faisant parler les miroirs, Nedko Solakov retourne les rapports entre le visiteur et l’objet d’art. Le visiteur ne contemple plus, il est placé sous le regard de l’objet, questionné et jugé par lui : « Vous aimez-vous ? Hein ? Et si oui, pourquoi ? », demande Mirror n° 2.

L’œuvre de Nedko Solakov prend largement l’univers de l’art comme thème : The Collector of Art (1992), Mr Curator, please… (1994), The Thief of Art (1994-1996). En 1999, il a été à l’initiative de la participation de la Bulgarie à la Biennale de Venise en envoyant quinze mille exemplaires d’une carte postale qui annonçait justement cette participation : Announcement désignait la situation de l’art contemporain en Bulgarie et révélait les stratégies utilisées par les artistes bulgares, dix ans après la fin du totalitarisme.

À la Biennale de Venise en 2001, Nedko Solakov a fait repeindre par deux hommes les murs d’un espace en noir et en blanc : l’un peignant au rouleau sur la peinture de l’autre. On pouvait croire que la salle n’était pas prête, toujours en chantier. Durant la durée de la Biennale, les murs n’ont jamais été entièrement d’une seule couleur. Ni en noir, ni en blanc. Il s’agissait d’éviter la vision unique, de briser le manichéisme du bien et du mal, d’ébranler les certitudes et les attentes.
Une démarche qui se poursuit dans Mirrors, avec le brouillage des rôles convenus entre les choses et leurs reflets…

Nedko Solakov
— Mirror # 4, 2003. Bois, feuille d’or, miroir, encre permanente : « Bye ! bye ! May I see your back please (…) ». 62,50 x 42 x 6 cm.
— Mirror # 5, 2003. Bois, feuille d’or, miroir, encre permanente : « Open your mouth ! More… more… a little bit more ! Stay like that as long as you can and everything will be okay. » 56 x 49 x 4 cm.
— Mirror # 3, 2003. Bois, feuille d’or, miroir, encre permanente : « Your feet smell, don’t they ? Don’t worry — I still like you ». 88,50 x 52,50 x 10,50 cm.
— Mirror # 1, 2003. Bois, feuille d’or, miroir, encre permanente : « Close your eyes, please. Your reflection on my face will still be there. What a lucky mirror I am. » 60,50 x 44,50 x 6 cm.
— Mirror # 7, 2003. Bois, feuille d’or, miroir, encre permanente : « You are so fucking ugly. Luckily this mirror is polite enough not to tell you the truth. » 60,50 x 44 x 6 cm.
— Mirror #2, 2003. Bois, feuille d’or, miroir, encre permanente : « Do you like yourself ? Do you ? and if you do — why  ? » 100 x 62 x 10 cm.
— Mirror # 6, 2003. Bois, feuille d’or, miroir, encre permanente : « Look at your face ! Shame on you ! Why do you secretly drop a tiny fart about an hour ago ? » 59,50 x 39,50 x 4 cm.

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