Hugo Pernet & Hugo Schüwer-Boss
Mirroring
«Peindre pour se plaire à soi-même est une forme d’académisme fréquente dans la peinture abstraite. C’est pourquoi il est vital que de l’altérité fasse irruption dans l’atelier et que la toile s’impose au peintre abstrait comme incarnant de l’autre».
Thierry de Duve
«Mirroring» est un terme anglais qui ne se traduit pas vraiment et qui désigne, en psychologie, le fait d’adapter son comportement à son interlocuteur, et en informatique l’association de deux disques durs (pour améliorer les performances ou la sécurité du système). Ce titre s’entend à plusieurs niveaux: d’abord, comme une mise en abîme de l’espace d’exposition — puisque les formats des peintures reprennent les cotes des fenêtres ou s’adaptent aux dimensions des murs. Ensuite, parce que «Mirroring» est composée d’un ensemble de peintures faites de surfaces monochromes encadrées, réellement ou de manière illusionniste, dans des compositions évoquant la fenêtre ou le miroir «psyché». Enfin, évidemment, comme une allégorie de l’influence réciproque de nos pratiques respectives, de nos discussions quotidiennes sur la peinture, des avantages et des inconvénients de porter le même prénom, bref, de notre amitié artistique.
Il nous est arrivé souvent, à Hugo et moi, d’être associés ou sollicités conjointement, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. La mauvaise raison principale serait l’homonymie de nos prénoms considérée comme preuve irréfutable de la direction commune de nos recherches. Et la bonne raison principale serait la direction commune de nos recherches — non démentie par l’homonymie fortuite de nos prénoms.
Il y a, inévitablement, une parenté entre nos pratiques, un parallélisme qui vient non seulement du fait que nous avons fait nos études ensemble, mais aussi de notre participation commune à beaucoup d’expositions par la suite. Pourtant, dans les faits, nous n’avons presque jamais réellement travaillé à deux, comme un véritable duo d’artistes. Il s’agit donc d’autre chose, de quelque chose de banal (et si important) dans l’histoire de l’art: le besoin de dialogue.
Dans le texte sur Mondrian cité en préambule, Thierry de Duve parle de la «triangulation» qui doit naître entre le peintre, la toile et le spectateur. Il décrit Mondrian comme un peintre «à la deuxième personne, non à la première» (qui serait la forme narcissique de l’abstraction) et récuse la peinture «à la troisième personne» comme une forme de capitulation devant la littéralité du médium.
Ce qui paraît clair, c’est que le «tu» de cette triangulation est joué tour à tour par l’un ou l’autre lors de nos échanges (par mail, souvent) à propos de nos travaux en cours. Ces échanges nous servent autant à nous encourager dans les difficultés de la vie d’artiste qu’à tester la réception de nos œuvres et nous diriger vers ce qui nous caractérise en propre.
Car il est évident que nous n’avons pas exactement les mêmes positions, les mêmes goûts, ni les mêmes visions. Le simple fait d’en discuter permet de mettre à jour ces différences fondamentales et de se laisser guider vers la bonne voie. Dans n’importe quelle voie, en fait, puisqu’il ne s’agit pas d’influencer l’autre, mais plutôt de le laisser confirmer le soupçon qu’on a envers soi-même: celui d’avoir réussi ou raté une peinture — d’avoir maintenu ou non en vie l’X de l’équation posée par Thierry de Duve.
Hugo Pernet