Gilles Berquet, Christophe Brunnquell, David Dubois, Charline von Heyl, Wade Guyton, Jutta Koether, Stéphane Kropf, Eugène Le Roux, Pierre Leguillon, Mirka Lugosi, John Martin, Alphonse Masson, Gyan Panchal, Bruno Perramant, Michael Riedel, Clément Rodzielski, Anne Laure Sacriste
Miroirs noirs
Le miroir noir, instrument d’optique datant de la Renaissance réalisé en appliquant une feuille noire derrière une plaque de verre, était utilisé par les peintres notamment pour composer un tableau. Il reflète un paysage ou un objet que le peintre souhaite peindre, mais son reflet atténue couleur et profondeur ce qui permet de composer plus aisément.
Le miroir noir ne met pas juste en jeu une technique, mais un dispositif symbolique, imaginaire, métaphysique, par lequel l’obscurité, l’aveuglement est l’origine de la vision comme de l’image. Il permet ici de faire des liens entre le monochrome (compris dans un sens ésotérique et non plus moderniste) et des pratiques artistiques contemporaines: le tracé, la forme, la page.
L’exposition «Miroirs Noirs» se propose d’aborder la question des images, non dans la constatation de leur reproductibilité mais à partir de cette hypothèse sur leur origine et leurs devenirs.
Elle réunit un portfolio de gravures réalisées par Mïrka Lugosi, Anne Laure Sacriste, Christophe Brunnquell, David Dubois, Pierre Leguillon, Gyan Panchal, Bruno Perramant et Clément Rodzielski, un choix de leurs pièces uniques, mais aussi d’une sélection d’oeuvres de Gilles Berquet, Charline von Heyl, Wade Guyton, Jutta Koether, Stéphane Kropf, Michael Riedel, ainsi que des gravures anciennes d’Eugène Le Roux, John Martin et Alphonse Masson. Les oeuvres deviennent alors autant de miroirs noirs, démultipliant les effets de reflets et de contre-reflets entre elles.
Comme tout outil, le miroir noir ne met pas juste en jeu une technique, mais un dispositif symbolique, imaginaire, métaphysique, par lequel l’obscurité, l’aveuglement est l’origine de la vision comme de l’image. Arnaud Maillet, dans son ouvrage Le Miroir noir, enquête sur le côté obscur du reflet, paru aux éditions Kargo & L’Eclat en 2005, en retrace l’histoire culturelle. «Le Miroir noir» permet ici de faire des liens entre des pratiques artistiques contemporaines qui semblent être aux antipodes.
Le miroir noir permet une hypothèse à rebours: il n’y aurait pas de reproduction, mais toujours production. Jamais de réitération de trait, de forme ou de page, mais un continuum entre un fond noir et un trait, un fond noir et une forme, un fond noir et une page. Trait, forme et page seraient à comprendre comme autant de rémanences d’un même fond noir, des effets d’opérations réitérant sans cesse leurs propres procédés, des apparitions.
Autant de moments dans un continuum, qui fait précisément image. Il n’est, dès lors, plus question de penser la reproduction contre l’original, mais ces moments comme des arrêts transitoires dans un processus, des formations à partir d’un fond noir, d’une origine muette.
Le miroir noir ne permet pas juste de faire des liens entre plusieurs modalités de pratiques artistiques a priori exclusives et le monochrome. Il permet aussi, et surtout, de penser l’inversion de leurs valeurs esthétiques avec celles qui lui sont attribuées, ou plutôt révèle l’inadéquation de toutes ces valeurs et leur nécessaire redistribution.
Ainsi le travail du trait procèderait paradoxalement d’une abstraction poussée à son paroxysme, puisqu’il n’est pas le reflet d’une réalité extérieure mais une réduction depuis un fond uniforme — Christophe Brunnquell, Charline von Heyl, Mirka Lugosi, Bruno Perramant, Anne Laure Sacriste.
Le miroir noir pourrait ainsi rendre compte d’une certaine qualité de tracé/dessin que le réel ne parvient à expliquer. Quant à la forme, elle relèverait d’une différenciation à partir du même et non pas d’une concentration d’éléments disparates — Jutta Koether, Gyan Panchal, Michel Riedel. Le monochrome est alors non plus bidimensionnel mais matrice de toute forme.
Enfin, la page est toujours originale — car elle renvoie à un originel dont elle est une variation, et n’est pas tant reproduction que dérivée — Wade Guyton, Pierre Leguillon, Clément Rodzielski. Le monochrome est alors la somme de toutes ces pages, existantes et possibles, dont elles se distinguent par variation.
Peut-être alors chaque image (trait, page, forme) est-elle un moment de ces trois passages possibles, toujours commencé, jamais fini, dont la source est le monochrome et la destination le blanc du mur. Le miroir noir est alors mode opératoire de nombre de pratiques, dont le spectre va du fond noir à son actualisation sous différentes formes : les pages de Clément Rodzielski et ses grandes planches noires, les dessins d’Anne Laure Sacriste et les peintures de sa série noire, les impressions sur pages de livres de Wade Guyton et ses monochromes imprimés au même moyen d’imprimantes.
Le Miroir Noir est aussi thème de leurs recherches, non un objet à représenter, mais autant d’images auxquelles il donne lieu (les dessins sophistiqués de Mïrka Lugosi, les dessins sauvages de Christophe Brunnnquell, les peintures savantes de Bruno Perramant, les photographies hasardeuses de Gilles Berquet) que de sujets «non-officiels» de peintures résistant à la fois aux partages abstraction/figuration et représentation/crise de la représentation (Charline von Heyl, Jutta Koether, Stéphane Kropf), de recherches résistant aux étiquettes mais investissant l’espace entre l’image et la page (Pierre Leguillon) ou celui entre la matière et la forme (Gyan Panchal).
On ne saurait donc penser un mode de présence évident et idéal de ce miroir noir. Il faut ainsi plutôt aller chercher du côté des hétérogènes, de rapprochements fondamentalement mixtes et hétérodoxes, non finis, toujours en devenir, ainsi le trait qui apparaît, la forme qui émerge, la page qui se différencie. Une gravure, report d’encre selon une matrice cachée à l’oeil du profane, serait alors le moyen, analogique, pour traiter de l’aveuglement, du négatif, de la réduction, de la différentiation alors même qu’elle semble affirmer qu’il n’est question que de reproduction (Mïrka Lugosi, Anne Laure Sacriste, Christophe Brunnquell, David Dubois, Pierre Leguillon, Gyan Panchal, Bruno Perramant, Clément Rodzielski ici, mais aussi John Martin au 18ème siècle, Eugène le Roux et Alphonse Masson d’après Décamps au XIXe…). Mais pour ces oeuvres comme pour les autres, il n’est d’images que comme autant de miroirs noirs.