Július Koller
Mini-Concepts / Maxi-ideas
Nous avons imaginé un territoire particulier à l’exposition, comme Július Koller aimait le faire: des zones au sol délimiteront différents aspects de son univers, chacune étant indiquée par une U.F.O.-textcard, télégramme ou annonce. Le spectateur pourra ainsi déambuler dans l’espace physique de la galerie et voyager mentalement à travers l’esprit de Július Koller, au gré des différents sujets qui articulent le parcours.
Un premier chapitre, ou zone, interroge la notion d’auteur, à partir de la représentation récurrente de l’artiste, l’omniprésence de sa signature, et son rapport ambigu à sa compagne, qui a documenté en images pendant 37 ans son activité. Parfois peintre amateur, artiste académique ou résistant politique, Július Koller décline le rôle de l’artiste et cherche sa place dans une société qui ne veut pas de son travail. De la même manière il questionne le statut d’œuvre d’art, développe les notions de non-œuvre, d’anti-art, ou d’œuvre déchet.
Július Koller déploie une forme artistique autour du jeu, lui permettant de faire des allers-retours entre l’art et la vie. Ses Anti-Happening transforment des situations de tous les jours en Situation Culturelle et Subjective; il souhaite ainsi créer une situation culturelle nouvelle résultant non pas d’un art nouveau, mais d’une nouvelle manière de vivre: une nouvelle créativité pour une nouvelle culture humaniste. A travers ses projets, ses actions et manifestes, il inscrit des changements progressifs à la réalité. Face à l’idéologie communiste, la subjectivité reprend sa place, dans tout ce qu’elle peut avoir de fragmentaire et poétique; c’est en répondant à cette réalité souvent hostile que l’artiste construit sa mythologie personnelle.
L’espace public devient son champ de prédilection, il le transforme, le ponctue et y diffuse ses idées à partir des U.F.O.-textcards tamponnées ou sérigraphiées. A travers de subtils jeux de mots, la pensée de Július Koller s’infiltre peu à peu. Lors de ses voyages réels (cartes postales) ou fictionnels (collages), de ses errances psychologiques, l’artiste s’approprie l’espace public: celui-ci devient le cadre pour réaliser ses saynètes imaginaires et ses performances ordinaires.
Cette occupation spatiale se déploie aussi de façon temporelle. Július Koller crée des discontinuités, des anachronismes: il découpe, cadre, démonte et remonte des temps parallèles. Le fait de distancier le passé et de reconfigurer le futur est sa manière de résister au totalitarisme. A l’intérieur même de l’Å“uvre de Július Koller, les sciences se mélangent aux traditions, la connaissance et les croyances se côtoient, l’archéologie ressemble à de la science-fiction. Face à la complexité de la notion d’Histoire sous le régime soviétique, Július Koller donne à son Å“uvre une dimension cosmique: les contradictions entre l’utopie et la vie réelle produisent un autre futur.
Cet intérêt pour tout ce qui est lié aux mystères du cosmos témoigne aussi de la fin du rêve d’une alternative socialiste tchécoslovaque. L’idée du futur, de l’attente de quelque chose de meilleur, s’est déplacée vers d’autres sphères. Le travail de Július Koller aura toujours cet effet d’étrangeté, comme pour nous rappeler que c’est à nous de voir les choses autrement. Car chez lui, le monde est mouvant, fluctuant. Face à cette instabilité, son Å“uvre se construit sur un mouvement permanent entre l’observation et l’action. Il affirme son scepticisme en ponctuant l’espace public par ses points d’interrogation. On ne sait pas très bien si l’artiste laisse une trace ou envoie des signaux, son personnage s’invente des interlocuteurs: des êtres humains qu’il pourrait potentiellement rencontrer lors de ses performances, des extra-terrestres à qui il enverrait des signaux à travers des gestes ludiques et illusoires dans un spectacle sans spectateur.
Toute l’œuvre de Július Koller peut être perçue comme un matériau pour créer un rapport à l’autre, afin de pouvoir communiquer. L’artiste va ainsi créer de grandes réunions entre amis dans la nature, le Paradis Slovaque, invente une galerie fictive afin qu’un comité d’amis en définisse le programme et met en place le Ping Pong Club, une invitation à jouer au ping-pong, avec ou sans lui. A travers l’idée du jeu, il serait encore possible, selon des règles de fair-play, de créer une forme de communication et d’échanges. Ce lieu symbolisait pour lui une volonté de citoyenneté dans un monde démocratique. Pour continuer d’activer cette idée, il reprendra plus tard dans des installations ces apparitions de tables de ping-pong.
Július Koller a beaucoup rêvé un monde qu’il a recomposé, remonté pour le rendre plus humain. On peut également retrouver cette idée dans une série de coupures de journaux, annotées, estampillées, transformées, comme si l’artiste, de son balcon et dans son isolement, avait reconstruit un monde nouveau.