Marie-Paule Nègre
Mine de rien…
Ce n’est pas un hasard si Marie-Paule Nègre, alors jeune photographe, choisit comme thème de son premier grand travail d’auteur, l’univers du jazz. Rien d’anodin à cela. Le jazz a été créé par — et pour — ceux qui souffraient de l’exclusion raciale et sociale. Des sans-paroles. Des sans-images. Par ceux, Noirs Américains, «intouchables» laissés sur le bord de la route par une société bien-pensante, intolérante et protectionniste. Le Jazz est une expression sociale et politique. Un manifeste universel.
Les photographies de Marie-Paule Nègre ont cette tonalité-là . Ce son-là . Remplacez les Noirs américains en lutte pour leurs droits civiques et leur dignité qui ont inspiré le Jazz, par les exclus de la société française, «anciens» ou nouveaux-pauvres, par les femmes mis au ban de la société parce qu’accusées de sorcellerie au Burkina-Fasso, par les gamines africaines excisées ou d’autres gavées de force en Mauritanie, par les adolescentes des rues au Guatémala, battues et stigmatisées, ou les petites filles qui découvrent l’école au Rajastan. Que disent-elles, que racontent-elles d’autre, face à l’objectif de Marie-Paule Nègre, que l’humiliation et le combat pour leur dignité? Que revendiquent ces femmes dans le viseur de la photographe, d’autre que leur droit à la justice sociale et à l’égalité de race, de classe et de genres?
Il est aujourd’hui délicat d’employer le terme de «photographe humaniste», tant il est galvaudé, mais à l’aune des travaux qu’elle a réalisés tout au long de ces vingt dernières années, Marie-Paule Nègre est, à l’évidence, une photographe engagée et concernée. Sans posture. Sans afféterie. Ni fausse empathie pour ses «sujets». Jamais elle ne les «utilise», épurant toujours l’émotion de tout pathos.
Un jour, alors qu’elle travaillait sur «Contes des temps modernes ou la Misère ordinaire» (qu’elle écrit avec une majuscule) quelqu’un lui a dit: «Montre à ceux du dehors comment on vit». Depuis, elle n’a plus jamais cessé d’écouter ceux et celles qu’elle photographie pour transmettre leur parole en image. Pour nous obliger, nous les «gens du dehors», mais sans brutalité gratuite, à les regarder, étape indispensable pour, enfin, les entendre.
Marie-Paule Nègre n’en démordra jamais, calmement obstinée: elle reste «convaincue que la photographie peut avoir un impact humain et contribuer à éveiller les consciences, agir pour la transformation des rapports sociaux». Pas d’emphase dans le discours. Juste une ligne droite dont elle n’a jamais dévié, en couleurs, en noir et blanc, à travers l’objectif de ses Leica ou de ses boîtiers numériques. Alors, elle trace, elle trace la route, se retournant, s’arrêtant sur ceux et celles qui restent sur le bas-côté ici et ailleurs. Elle trace, Marie-Paule Nègre, avec, sans doute, un petit air de jazz lancinant dans la tête…
Caroline Laurent-Simon