Dans le cadre de la manifestation versaillaise « Plastique danse flore », dont on fêtait la deuxième édition et du « Vif du sujet », produit par la SACD, la chorégraphe Laure Bonicel a conçu un solo pour la danseuse montante Vanessa Le Mat intitulé Mimosa pudica, donné au moment de l’équinoxe de septembre dans le cadre champêtre du Potager du roy.
La pièce est conçue comme un parcours, une déambulation, une traversée de paysages extérieurs mais aussi intérieurs. Des états du corps, des états d’esprit, des états d’âme. L’état de la danse la plus actuelle, également : silencieuse et éloquente, intro et extravertie, formalisée et indéterminée. Le corps de la danseuse est un composite mi-humain mi-animal. Des excroissances, des prothèses et des ornements divers et variés, des éléments végétaux, des restes de toisons et de peaux de toutes sortes de bêtes, des vestiges de la part reptilienne et de la mémoire collective enfouie au plus profond de nous, complètent une vêture somme toute moyenâgeuse constituée de bas verts, de chaussures en peau de daim, de top en maille de jersey. Cette apparence n’avantage pas vraiment l’interprète mais nous ne parvenons pas pour autant à éprouver de malaise, dégoût ou répulsion comme cela arrive parfois avec des tenues ou des comportements délibérément outranciers.
Vanessa Le Mat, formée à Lyon, en Suisse et en Allemagne, passée par le Ballet de Francfort de William Forsythe, vient de se produire dans plusieurs performances assez étonnantes, aussi bien à la galerie des Galeries pour Swing qu’au Cnd, dans le cadre d’un projet en cours avec le musée de la Chasse. La jeune femme est à la fois gracieuse, vive et d’une énergie incroyable. Elle passe de l’immobilité, ou presque, à une exploration du paysage vallonné agrémenté d’un lac de nymphéacées impressionniste, de plaisants bosquets, de buissons plus ou moins ardents, de saules rieurs épanouis. De la verticalité à un lent travail au sol. Du plein jour au contre-jour brutal. Du frôlement des spectateurs-promeneurs à une mise à distance spectaculaire.
Malgré le silence et le mutisme presque total des deux côtés de la rampe, on ne pouvait s’empêcher de chantonner, en son for intérieur, la mélodie vaporeuse que Debussy a composée sur le poème de Mallarmé. De songer à d’autres versions de ce poème symphonique mis en danse il y a un siècle, ou tout comme, par Nijinski. Aux interprétations, fidèles ou déloyales, proches ou détachées, respectueuses ou impertinentes, que n’ont cessé de produire mimes, danseurs et chorégraphes, depuis cet âge d’or où ont cohabité le ballet classique le plus pur et la danse la plus d’avant-garde qui puisse être. On pense et on en oublie, à Chaplin (Sunnyside), aux danseurs du Moulin rouge Edmonde Guy et Van Duren, à Lifar qui, à Versailles même (au Trianon) dansa sa propre variante en plein air, il y a une cinquantaine d’années, à celle, explicite et provocatrice, de Marie Chouinard, etc.
Après avoir ôté ses guêtres et oripeaux, les avoir portés à bout de bras tendus un peu comme des fétiches d’une religion inconnue, les avoir accrochés aux branches, la danseuse-effeuilleuse s’est lancée dans une dernière série de mouvements, légers et pleins d’allant, amorcés côté jardin, comme il se doit, avant de disparaître côté cour.
— Conception : Laure Bonicel
— Interprétation : Vanessa Le Mat