Mike Brodie
A Period of Juvenile Prosperity
Né en Arizona, Mike Brodie arpente le territoire américain, nous livrant des images brutes — choquantes parfois, surprenantes toujours — de ces quatre années de voyages, de trains en trains, de rencontres en découvertes.
Travaillant masqué, sous couvert de pseudonyme, l’amateur est tout d’abord le «Polaroid Kidd», le minuscule polaroïd, l’enfant du petit format. Enfant car c’est à dix-sept ans seulement qu’il se lance sur les routes et les rails, en 2002, avec quelques effets personnels pour un simple petit voyage… Qui s’avéra durer quelques jours à la suite desquels il partit, cette fois, discrètement pour un plus long voyage…
La pudeur de ce surnom ne dit pourtant pas l’effet saisissant que ces photographies dessinant l’Amérique ont encore sur un monde photographique en mal de représentations novatrices de ce territoire déjà tant visité et si bien décrit. Pour sa première exposition personnelle en France, ce Denis Hopper photographique présente un ensemble de photographies, issues d’A Period of Juvenile Prosperity, titre de l’ouvrage publié par Twin Palms l’année dernière et déjà épuisé.
Face au succès de ses expositions américaines, ces deux dernières années, la galerie Les filles du calvaire s’est alliée à Yossi Milo New York afin de présenter une sélection conséquente d’images déjà rares. Il ne s’agira pas des Polaroids avec lesquels Mike Brodie a débuté son trajet photographique, en 2004, lorsqu’il trouve sur un siège arrière de voiture un vieil appareil oublié. Ce format, qui lui valut son surnom, est celui avec lequel il signa les tags laissés sur son passage, au gré des errances ferroviaires et des rencontres.
Il recourt cependant au standard du négatif 35 mm dès 2006, se heurtant aux 46 états américains et aux 50 000 miles de voies qui les sillonnent. Sorte de road movie compulsif, cette série suit de près les «train hoppers», ces jeunes de banlieues américaines qui ont pour habitude de hacker les trains, sautant de l’un à l’autre, voyageant couchés dans les wagons ou le nez au vent, assis sur des piles de papier, bercés par le soleil âpre des plaines et steppes états-uniennes.
De ces images, on garde en mémoire les regards d’amis, d’inconnus devenus proches, la violence de la sub-culture américaine, presque punk par sa dureté, souvent grunge, encore poussiéreuse des émanations de l’air soulevé par les trains qui la véhiculent. Voyeurs, nous sommes assis parmi cette jeunesse, avec un regard presque trop proche, le nez collé à la sueur, au sang, aux visages de ces vagabonds qui nous rappellent la pauvreté des hobos qui, lors de la Grande Dépression, utilisaient ces moyens de transports pour des raisons économiques. On regarde aussi leur folie sauvage, quelque chose d’extrêmement libre, qui ne connaît pas de frontières et qui est précisément ce que Mike Brodie traduit en images.
Valentine Umansky