Chorégraphe new-yorkais, Miguel Gutierrez cultive une danse contemporaine haute en couleur. Avec This Bridge Called My Ass (2019), il convie sur scène cinq latinx. Autrement dit, cinq danseur.se.s latino et latina — l’expression anglo-saxonne ‘latinx’ étant une façon de marquer la neutralité du genre. Jouant avec des extraits de telenovelas (Rubi, Betty La Fea, La Esclava Isaura…), la pièce relève autant de la performance chorégraphique que vocale. Corps éloignés des standards rigoristes de la chirurgie esthétique, les danseur.se.s évoluent partiellement vêtu.e.s. Et l’orgie rôde. Dans un désordre mobile, pouvant éventuellement rappeler un chaos où l’ennui se comble par la télévision et le sexe. Mimant des états un peu seconds, This Bridge Called My Ass courtise ce qui pourrait ressembler à une actualisation de l’enfer de Jérôme Bosch. Mais en caleçon rose fluo, t-shirt violet et à grand renfort de MacBook Pro, comme outil de stimulation.
This Bridge Called My Ass de Miguel Gutierrez : entre sexualité et telenovelas
Semblant relever d’un registre de représentation explicitement sexuel, This Bridge Called My Ass joue avec les codes d’évocation. À l’échelle mondiale, les échanges les plus lucratifs et répandus sont ceux des armes, du sexe et de la drogue. Autrement dit, le sexe et ses représentations font presque partie des universaux. De ce qui, internationalement, s’échange le mieux. Simulant toutes formes de rapports — avec des tabourets, entre danseur.se.s ou avec toutes autres formes d’objets —, pour un.e spectateur.rice ordinaire, la pièce de Miguel Gutierrez évoquera éventuellement la gestuelle d’un spectacle pornographique. Mais comme mis en scène par Samuel Beckett. Les gestes sont là , les chairs bougent en rythme, la musique pulse avec vigueur, mais un peu à côté. Comme un jeu où les gestes n’auraient finalement pas une connotation si sexuelle que cela. Le désir, la langueur, la lente brûlure qui s’empare du corps de celui ou celle qui se retrouve consumé.e d’envie ? Ce n’est peut-être pas ce que cherche à susciter This Bridge Called My Ass. Mais comme tout ce qui touche de prêt à la sexualité : This Bridge Called My Ass renvoie aussi chacun à ses spéculations.
Des discours à la danse : la fabrique du groupe, entre stéréotypes et complexités
Jouant avec le titre d’un ouvrage édité par CherrÃe Moraga et Gloria E. Anzaldúa, This Bridge Called My Back (1981), la pièce prolonge le mouvement des luttes intersectionnelles. Recueil de textes féministes écrits par des femmes de couleur, This Bridge Called My Back critique le féminisme blanc. Ou la reproduction des hiérarchies, à l’intérieur même d’un mouvement censé en démonter les rouages. Mais plutôt que de passer par de longs discours, This Bridge Called My Ass joue la carte de la danse. En poussant au paroxysme ce qui enferme dans les stéréotypes. Comme, potentiellement, les telenovelas avec leur mise en scène des interactions quotidiennes. Mimant leurs dialogues en déshabillés de dentelle, les danseur.seuse.s semblent convoquer l’absurde et le grotesque. Et de l’orgie chaotique au détournement de matériel télévisuel (répliques de séries télévisées), avec humour, mais non sans gravité, This Bridge Called My Ass questionne également les modalités actuelles des différentes manières d’être ensemble.
À retrouver en première européenne au festival Montpellier Danse 2019. Pour publics adultes.