Michael Brown nous convie dans un univers anonyme. Des images pornographiques, découpées dans un magazine et ordonnées en frise murale — sexes sans visages, corps superlatifs et standardisés de l’industrie du plaisir —, dissimulent leur support d’origine: des textes sélectionnés par l’artiste dans son «top 10» de littérature américaine. Ces «signes» de civilisation ne survivent qu’à l’état d’écriture fantomatique, sans que l’on puisse désormais en identifier l’auteur.
Même chose pour les cannettes de bière vides qui jonchent le sol, privées de leur étiquetage d’origine, et ces miroirs brisés en leur centre, capables de ne renvoyer qu’une image déformée et partielle de la réalité. Au sol, des cartons noircis de fumée (Ten Books) ne contiennent plus que le souvenir des livres qu’ils ont transportés…
Dans ce petit monde de l’ordinaire, l’identité des êtres et des objets parait avoir succombé sous les coups de la banalité et des plaisirs immédiats, comme Narcisse qui, selon Plotin, aurait péri d’avoir préféré son image (l’apparence, le faux) à lui-même (et aux autres).
Les sièges de jardin dégradés, typiques de la classe moyenne américaine, évoquent directement les loisirs d’une société de l’entre-soi obsédée par la consommation et le pouvoir normalisant de cette dernière. En cela, le propos est simple — un peu trop même tant le questionnement est d’évidence et sa résolution plastique tout aussi prévisible…
Heureusement, le temps passé dans les espaces atténue le caractère manichéen de cette exposition, qui semble d’abord s’organiser selon un jeu d’opposition binaire (et simpliste): voir-savoir, singularité-massification, consommation-réflexion, art-divertissement, mais finit par révéler son ambiguïté, pour le coup salvatrice !
Lieu de destruction, mais de destruction factice (les brisures du miroir sont savamment calculées, les canettes méticuleusement disposées sur le sol en masses équilibrées, les photographies sagement alignées), plus lisse que trash, plus aseptisé qu’agressif, plus construit que chaotique, il induit dans sa facture la complicité de l’artiste, à la fois dénonciateur et cible de ce discours sur la surconsommation et la société contemporaine.
Comme si toute forme d’art, si bien pensante, cultivée et moralisatrice qu’elle soit, finissait par se soumettre de la même façon aux lois du marché et de la médiatisation, aux tentations du fétichisme et à la fascination de l’image. Le ver serait dans la pomme, invisible à l’œil nu mais dévorant le fruit de l’intérieur…