Dès la façade de la Maison Rouge, une œuvre de Doug Aitken: 99 Cents Dreams, inscrit en néon dans la vitrine, faisant référence aux enseignes des boutiques à prix unique qui livrent leurs rêves de pacotille.
C’est une certaine forme de la société de consommation qui s’affiche de façon métonymique — peut-être aussi une forme d’autodérision — et qui résonne particulièrement par ces temps de crise économique mondiale, initiée par les Etats-Unis.
Derrière, on aperçoit d’autres néons: ceux de Kendell Geers, inscrivant sur le mur le mot «Border», dont la lettre «B» clignote, créant une alternance entre les mots «border» et «order», soit, entre frontière et ordre, allusion à la frontière entre les États-Unis et le Mexique et allusion aussi à ce que déploient les États-Unis — sans être les seuls — pour empêcher l’immigration illégale.
Et nous voilà plongés, dès l’entrée, de façon subtile, par les lumières colorées, dans le feu de l’exposition, puis, une fois l’espace pénétré, nous voilà dans un dédale d’œuvres (photographies, peintures, installation, vidéos, etc.) qui nous parlent du Mexique comme elles nous parlent du monde, de ses violences, de ses misères, mais aussi de sa poésie et de son éblouissement, comme éblouit la beauté d’une femme nue à la peau d’ébène, assise, le visage levé vers la lumière solaire, photographiée par Manuel Álvarez Bravo en 1947.
Si Mexico Expected Unexpected (Le Mexique attendu / inattendu), concerne de façon intime le Mexique, c’est loin de tout stéréotype et de tout exotisme douteux. Il s’agit moins d’une exposition d’art mexicain que d’une collection mexicaine d’art contemporain: la collection constituée par Isabel et Augustin Coppel, amateurs originaires de la région de Culiacàn.
Á la tête d’une entreprise familiale — elle a commencé par une boutique de meubles, puis s’est développée progressivement à la grande distribution et à la banque —, le couple, a constitué depuis une quinzaine d’année, une abondante collection d’art contemporain, composée d’œuvres d’artistes mexicains, mais aussi d’autres horizons, d’artistes qui jouent un rôle majeur dans la création contemporaine.
C’est une centaine de pièces qui sont montrées ici, représentatives de la vitalité de l’art mexicain, de la génération des aînés comme Manuel Alvarez Bravo ou des artistes contemporains, comme Gabriel Orozco, Francis Alÿs, Carlos Amorales, Abraham Cruzvillegas, Damien Ortega, dont les œuvres côtoient celles de précurseurs comme Gordon Matta-Clark, Lygia Clark ou Ed Ruscha ou encore d’artistes dont la démarche possède une parentée avec les choix esthétiques des Mexicains, comme Rivane Neuenschwander ou Tatiana Trouvé.
C’est ainsi que Tatiana Trouvé a investi le patio de la Maison Rouge par une installation — suivant une œuvre qu’elle décline, selon les espaces, depuis 1997, intitulée le BAI, Bureau d’activités implicites —, installation qui combine ici savamment différents éléments (des tiges métalliques, des tuyaux, un container, des sceaux, etc.) et qui exploite les reflets des parois vitrées du lieu en jouant sur la symétrie des figures, troublant ainsi l’espace, pervertissant le rapport intérieur-extérieur, créant la confusion entre réalité et illusion.
Cette œuvre — première œuvre de l’artiste conçue pour l’extérieur — est une commande des Coppel à la fois pour cette exposition et en vue d’un autre projet : le jardin botanique de Culiacàn. Ce jardin doté d’une collection de plantes exotiques sera dédié à la découverte de l’art contemporain. Reconfigurée, l’installation de Tatiana Trouvé rejoindra les œuvres d’une trentaine d’artistes associés à ce projet, comme James Turell ou Olafur Eliasson.
Non loin de l’installation, une photographie de Manuel Álvarez Bravo se présente dans sa simplicité, comme une exergue à l’exposition. Nino Maya de Tulum, prise en 1942 ; elle montre le visage grave d’un enfant à côté d’un relief de tête de mort du site maya, à travers le fort contraste d’une lumière zénithale.
Et c’est le thème ancestral de la mort et de ses multiples figures très présentes dans la culture mexicaine qu’introduit cette œuvre dans laquelle on retrouve l’art singulier du photographe : une exigence formelle liée une dimension surréaliste.
La photographie est très présente dans l’exposition. On notera la superbe vue prise comme à la dérobée dans une ruelle de Mexico en 1941, par Helen Levitt, les images étranges peuplées d’oiseaux hitchcockiens de Graciela Iturbide (ancien élève et assistant d’Helen Levitt), ou encore l’espace évidé, désertique, neutre, des huit photographies d’Ed Ruscha recensant les stations services de la route 66 qui relie Oklaoma et Los Angeles, dans Twentysix Gasoline Stations de 1962.
Parmi les photographies plus récentes, les vues aériennes de Mexico de Mélanie Smith sont remarquables par l’étrangeté de leur espace, comme sont étranges aussi les visages de matadors photographiés par Rineke Dijkstra. Quant à la photographie de Thomas Struth, Paradise 2, montrant une forêt tropicale, elle est impressionnante par sa monumentalité et elle fait écho à une autre vision de la nature, plus humoristique, émanant d’une photographie de Gabriel Orozco, Gato en la jungla de 1992.
Le thème de la nature est présente aussi de façon délicate dans l’installation de l’artiste brésilienne, Rivane Neuenschwander, dans Suspanded Landscape, de 1997 où sont suspendus, à un labyrinthe de fils, des gousses d’ail évidées, qui s’écartent, aériennes, au passage des visiteurs. L’œuvre est fragile ; elle est poétique dans sa fragilité. Cette qualité émane aussi de ses collages évoquant des constellations et des nuits étoilées. Ils sont réalisés à partir de confettis obtenus en perforant le texte d’une traduction portugaise des Mille et une Nuits, confettis collés sur un fond noir.
Si le rapport à la nature est présent en filigrane dans l’exposition, le rapport à la mort et aux rites l’est aussi : le rapport aux figures étranges de la mort, que cela soit dans l’installation et la vidéo de Terence Koh, sorte de danse macabre avec un squelette, réalisée en 2006 ou encore dans l’œuvre d’Ana Mandieta.
Pour autant, l’exposition fait cohabiter la survivance des traits d’une culture, d’une civilisation, avec des préoccupations plus actuelles, des questions plus sociologiques ou politiques. Ainsi se présente, à travers des photographies, des dessins et des vidéos, l’œuvre du collectif Tercerunquinto — collectif formé à Monterrey, au Mexique, 1996, par Julio Castro, Gabriel Cázares et Rolando Flores —, consistant en des «implants architectoniques» dans des bidonvilles.
Le diaporama que Francis Alÿs réalise de 1992 à 2002, montre, quant à lui, toutes les choses poussées ou tirées dans les rues de Mexico. Les Ambulants, donne ainsi lieu à un document sur la réalité sociale de la ville. Ou bien encore, l’artiste présente une vidéo réalisée avec Rafaël Ortega, Zócalo, 22 May 1999, où est filmée pendant douze heures la place la plus importante de Mexico, dans une vue en forte plongée. La lente image montre l’étrange déplacement des passants et des vendeurs se réfugiant dans l’ombre du mat du drapeau national.
Si Mexico et le Mexique sont omniprésents dans l’exposition, des œuvres viennent aussi en contrepoint, comme la batterie éclatée dans l’espace, installation de Damien Ortega, qui, par ailleurs, traite aussi d’une certaine «mexicanité» à travers Moby Dick, enregistrement d’une performance réalisée avec une « coccinelle » Volkswagen, voiture emblématique arrivée à Mexico en 1960. C’est en développant cette voiture dans l’espace, en pièces détachées — voiture symbole de la modernisation de la société et de la production de masse au Mexique, que l’artiste s’était fait connaître à la Biennale de Venise en 2003.
D’autres œuvres, et non des moindres : un âne naturalisé de Maurizio Cattelan, des photographies de Dan Graham, de la série Homes for América, sur l’habitat standardisé dans le New-Jersey, des photographies et un film projeté en boucle montrant une intervention d’«anararchitectureÒ» de Gordon Matta Clark, Conical Intersect, où l’artiste découpe une portion d’un immeuble au cours du chantier de la construction du Centre Georges Pompidou, en 1974, des pièces de Lygia Clark et de Gabriel Orozco, ponctuent les dernières parties de l’exposition.
La collection est d’une grande densité. La qualité de la mise en espace, la subtilité de la scénographie et les contaminations sonores favorisent la circulation entre les lieux fermés — souvent les espaces de projection — et les lieux ouverts, permettant ainsi aux œuvres de dialoguer autour des enjeux thématiques ou formels.
C’est ainsi qu’à travers les regards croisés des artistes et les fruits de leur audace, à l’ombre du surréalisme et de la révolution, à l’ombre du passé mais aussi de l’histoire plus récente du pays ou de son actualité, cette déambulation conduit à ressentir, entre le local et le global, par ces temps de mondialisation, l’intérêt de la culture mexicaine dans ses particularités, dans son hybridation et sa vitalité, cette culture qu’Antonin Artaud appelait «la culture éternelle du Mexique».
Artistes
Doug Aitken, Manuel Álvarez Bravo, Francis Alÿs, Carlos Amorales, John Baldessari, Lothar Baumgarten, Iñaki Bonillas, Miguel Calderòn, Maurizio Cattelan, Lygia Clark, Abraham Cruzvillegas, Rineke Dijkstra, William Eggleston, Flor Garduño, Kendell Geers, Dan Graham, Enrique Guzmàn, Jonathan Hernàndez, Graciela Iturbide, Terrence Koh, Helen Levitt, Phillip Lorca DiCorcia, Marcos Reis Peixoto, Marepe, Gordon Matta Clark, Ligya Clark, Jorge Méndez Blake, Ana Mendieta, Jonathan Monk, Rivane Neuenschwander, Helio Oiticica, Gabriel Orozco, Damián Ortega, Fernando Ortega, Jack Pierson, Pedro Reyes, Ricardo Rendon, Ed Ruscha, Maruch Sàntiz Gòmez, Stephen Shore, Melanie Smith, Simon Starling, Thomas Struth, Tercerunquinto, Gabriel Cázares, Rolando Flores, Tatiana Trouvé, Pablo Vargas Lugo, Pae White, Mariana Yampolsky.
John Baldessari
— Figure (Green) with side of Beef/ Two Figures (Gray) With Food, 1990.
—
@page { size: 21cm 29.7cm; margin: 2cm }
P { margin-bottom: 0.21cm }
–>
Color photographs with oil tint and vinyl paint.
191.13 x 219.71 cm
Kendell Geers
— D/Anger, 2003. Neon. 250 x 40 x 14 cm
— B/Order, 2003. Neon.250 x 40 x 14 cm
Rivane Neuenschwander
— Suspended Landscape, 1997. Garlic peel installation. Dimensions variable
Gabriel Orozco
— Bus stop, 2007. C-print. 40.64 x 50.80 cm
— Árbol Nuevo, 2006. Tempera and burnished gold leaf on cedar wood. 50.50 x 50.50 cm
— Árbol Simétrico, 2006. Tempera and burnished gold leaf on cedar wood. 49.5 x 49.5 cm
Carlos Amorales
— From The Bad Sleep Well, 2007. Part of a set of 30 collage paper drawing. 45 x 60 cm each
Manuel Alvarez Bravo
— Niño con calavera, 1942. Tirage argentique. 217 x 24 cm
Graciela Iturbide
— El señor de los pàjaros. Nayarit, 1985. Gelatin silver print. 50.80 x 60.96 cm
Phillip Lorca DiCorcia
— Mexico City, 1998. Ektacolor print mounted to 4-ply board. 76.20 x 101.60 cm
Francis Alys
— Ambulantes II, 1992-1993.
Pae White
— Frieze Festoon, 2005