Anne Favret, Patrick Manez
Metroplex
Depuis une dizaine d’années, le travail d’Anne Favret et de Patrick Manez s’attache à définir, avec une grande précision technique, par le biais de la photographie à la chambre, le territoire urbain dans toute sa diversité et sa complexité en essayant d’« assembler les indices visibles de l’espace hétérogène qui nous entoure dans des séries photographiques distinctes. ». Pour chaque ville étudiée, la stratégie d’approche photographique était définie jus¬qu’à présent en fonction de l’histoire et de la topographie du site. Les réseaux denses et chaotiques d’Alexandrie donnèrent ainsi lieu à des tirages en noir et blanc dont les cadrages resserrés sur les murs des immeubles restituaient une sorte d’épiderme, tout en faisant écho à la saturation d’espace de la ville. Pour Favret/Manez, cette méthode de travail garantissait une perméabilité optimale au lieu, tout en respectant un devoir de neutralité. L’idéal étant d’adopter un point de vue démocratique sur le site. La remise en question systématique du cadrage dans chaque série permettait également aux photographes d’évincer les tics qui auraient pu s’ériger en style. Après avoir arpenté les rues d’Alexandrie (1992-1994), puis celles de Rotterdam (1995-2000), de Montreuil (1996-2002) et de Gênes (2002-2005), le couple d’artistes est parti l’été dernier à la rencontre de l’Ouest américain, cette fois avec un appareil de moyen format. De ce voyage, ils ont rapporté un certain nombre de photographies qui seront présentées à l’occasion de leur exposition à L’Atelier Soardi à Nice avec des clichés antérieurs pris dans des villes européennes. Ce parti pris constitue une nouveauté dans le travail de Favret/Manez qui avaient jusqu’alors toujours oeuvré sur des séries qui examinaient des territoires géographiques précis, ville par ville.
Désireux de ne pas procéder de manière répétitive, les photographes ont également remis en question leur pra¬tique en ne s’intéressant plus exclusivement à l’architecture et en commençant à travailler, il y a quelques mois, sur des images comportant des individus dans l’espace urbain. Pour Favret/Manez : « Il s’agit d’une exposition programmatique : elle présente l’ensemble des questions sociétales sur lesquelles nous allons travailler dans les années à venir et réorganise le travail que nous avons réalisé jusqu’à présent selon ces nouvelles perspectives. Nous avions besoin de poser un nouveau regard sur notre production en considérant chaque photographie de manière autonome et non plus comme le seul rouage d’une série particulière. Nous avions déjà utilisé individuellement des images, notamment dans notre série Dispositifs, mais la combinaison de ces photographies donnait lieu à une « pièce » (diptyque ou triptyque) indépendante et unique. Aujourd’hui notre propos a évolué : la série explose et nous nous affranchissons du sujet. ».
Le titre de l’exposition, « Metroplex », fait écho aux développements exponentiels du paysage urbain entre Dallas et Fort Worth, deux aires qui ont fini par se rejoindre en une seule mégapole de plus de 5 millions d’habitants sous l’effet de leur expansion mutuelle. À l’instar de cet immense territoire géographique que l’on désigne aussi du sigle DFW, l’exposition à L’Atelier Soardi réunira donc des vues parfois étrangères les unes aux autres, effectuées dans différentes métropoles au fil des voyages du duo d’artistes, qui formeront une sorte de continuum urbain. On passera ainsi indif¬féremment de Nice, à Gênes, à Los Angeles et ainsi de suite, dans des cadrages diversifiés qui tentent de situer l’indi¬vidu au coeur de l’architecture. Ces images de nature et d’échelle différentes, ne seront volontairement pas légendées pour échapper à la notion de photographie documentaire. En outre, elles seront mélangées, l’idée n’étant pas d’iden¬tifier les lieux, mais de donner plutôt à voir ces divers territoires comme un seul monde fermé sur lui-même.
Les lieux choisis montrent que les photographes ont également cherché à évincer les stéréotypes de la photogra¬phie urbaine en intégrant fortement des reliquats d’espaces naturels qui ne sont pas sans évoquer la photographie de paysage : « Nous sommes définitivement sortis du modèle concentrique : centre – confins de la ville – banlieue – espaces naturels. Ici les frontières de la ville s’effacent, les espaces deviennent poreux, la ville se retrouve, par par¬celles dans l’extra urbain et vice-versa. ». Le corpus photographique présenté fonctionne sur un système d’emboî¬tement avec des vues qui comptent des structures paysagères très larges et des vues plus rapprochées qui amènent des détails précis, sortes de marqueurs signifiant que l’on se trouve bien dans un espace urbain.
Le sentiment qui ressort de cet ensemble hétérogène de photographies est celui d’une ville générique qui serait partout et nulle part. Ce no man’s land à la fois étrange et familier apparaît tantôt comme un lieu de la préca¬rité, tantôt comme un lieu de l’opulence ; tantôt comme un espace de conflits et comme un lieu d’aliénation de l’individu, tantôt comme un espace de survie où les corps réinventent leur relation au monde. Si le travail mis en route ici se situe fortement dans la lignée de la Street Photography, Favret/Manez essaient néanmoins de sortir de l’image de reportage et d’évacuer l’anecdote pour se concentrer sur la présence du corps comme faisant partie intégrante de l’architecture.
Catherine Macchi
(Commissaire de l’exposition)