Les Métamorphoses II sont des possibles offerts au regardeur; le possible d’une lecture libre, ou d’une plongée dans son propre subconscient. À l’instar du test de Rorschach (le test de personnalité, dit «test des taches d’encre»), les photographies de Rajak Ohanian jouent de cet effet de symétrie qui double l’espace et perturbe les habitudes. Tout en redoublant les signes — prenant pour sujets les formes de la nature: roches, eau, fougères, branches d’arbres — l’œuvre les extrait de leur contexte habituel, celui des paysages des Cévennes.
Plus rien de connu, ou de vraiment palpable, mais des formes qui parlent à nos sens esthétiques, imaginatifs ou émotionnels. L’œil, qui toujours cherche à identifier les formes pour mieux les nommer, se trouve confronté à un univers subjectif où l’inconnu l’emporte sur la connaissance.
Chaque photographie appelle une nouvelle histoire — qui nous est propre —, révèle quelques bribes de notre roman familial, et semble suggérer une forme de poésie surprenante, paradoxalement innommable. La déambulation au milieu des ces Métamorphoses devient personnelle.
Une surface rocheuse stratifiée et érodée par les intempéries (Métamorphoses II #26/15) devient alors pour moi le support d’un texte antique, en écriture cunéiforme du IVe millénaire avant J.-C., réminiscence fantasmatique du peuple mésopotamien.
Un réseau de branches (dans Métamorphoses II #04/15) devient ce que votre esprit veut bien vous suggérer, une araignée géante, un paysage peuplé d’elfes, un univers offert à la surprise et à la contemplation, à la fois un espace de jeu et de sérieux. Rien n’est simple anecdote, chaque paysage réinventé par l’artiste est le lieu possible d’une signification plus ancienne.
Rajak Ohanian photographie l’expérience. Depuis plus de cinquante ans, il fait des portraits de personnes et de lieux, tels les relevés d’une vie toujours en mouvement, toujours circulaire.
En résonance avec ces paysages imaginés (métamorphosés), la galerie Laurent Godin présente des travaux plus anciens de l’artiste. Sa série de portraits des habitants de Sainte-Colombe-en-Auxois notamment, exécutée de 1979 à 1984, est un portrait de village. Elle présente, parmi d’autres, François Gorre, Madeleine Renardet, Jean-Pierre Leblanc, dans leur quotidien, entre banalité et sacralité.
Les trois planches A Chicago. Portrait d’une ville (de 1987 à 1989) sont les reflets de ses recherches esthétiques, qui tendent progressivement vers l’abstraction. Présentées sur planche contact, les vues de la ville sont répétitives mais sensiblement distinctes car soumises à la circulation des hommes qui en dynamisent l’espace.
Avec A Chicago #12. Portrait d’une ville, le photographe s’attache à une faille dans un sol de béton, dans A Chicago #1 Point Zero. Portrait d’une ville, ce sont les lignes blanches qui constituent un carrefour de ville qu’il photographie inlassablement. Un jeu s’installe entre la géométrie statique des accidents de terrain et la course hasardeuse des passants, une chorégraphie se crée entre ces diverses entités, l’imperceptible se trouve alors révélé.
L’image s’ordonne régulièrement autour d’axes, d’accidents et de signes qui en structurent l’espace. Ces «événements» sont alors les prétextes d’une réinvention architecturale et «abstractisante» des schémas humains et naturels coutumiers.
Avec la série Métamorphoses II créée en 2009, Rajak Ohanian travaille les notions d’hybride, de merveilleux et aborde les figures innommables du rêve.
Liste des Å“uvres
— Rajak Ohanian, Métamorphoses II , 2009. Série de tirages jet d’encre sur papier baryté, 97 x 68 cm.
— Rajak Ohanian, A Chicago #1 Point zero, 1987–1989. Portrait d’une ville, tirage noir et blanc sur papier baryté Ilford 1K, 130 x 150 cm.
— Rajak Ohanian, Sainte Colombe en Auxois – Portrait – Marguerite Cadouot, 1979-1984, photographie noir et blanc, 82 x 57 cm.