Anne et Patrick Poirier
Mesopotamia
Réunissant un ensemble d’œuvres de la fin des années 60 jusqu’à nos jours, cette exposition remonte le fil d’une longue recherche menée par le duo d’artistes autour du bassin méditerranéen et plus particulièrement sur le territoire de l’ancienne Mésopotamie que recouvrent aujourd’hui l’Irak et la Syrie.
Depuis plus de 40 ans, Anne et Patrick Poirier visitent, fouillent, collectent et inventorient des sites et des vestiges issus des civilisations anciennes. Cet intérêt pour le voyage et la découverte du patrimoine de l’humanité est profondément ancré dans leur pratique artistique. Dans le sillage de l’enseignement de Claude Lévi-Strauss, ils font partie des premières générations d’artistes à avoir parcouru le monde pour comprendre l’organisation des cités antiques, et plus particulièrement, les formes de leur disparition.
Particulièrement sensibles à la situation géopolitique complexe qui frappe aujourd’hui l’Irak et la Syrie, Anne et Patrick Poirier se positionnent en tant que qu’observateurs de l’histoire de cette région, en nous restituant des formes qui relèvent autant d’un tourisme éclairé que d’une archéologie poétique.
C’est le cas de la série «Palmyre» (1992) qui réunit des photographies du célèbre site archéologique syrien. Ces «clichés» des ruines de l’ancienne cité sont rehaussés à l’encre. Les couleurs artificielles appliquées apportent à ces constructions anciennes un aspect surnaturel; s’agit-il de ruines du passé ou du futur, sont-elles réelles ou imaginaires?
Ces paradoxes sont également à l’œuvre dans leurs travaux les plus récents pour lesquels l’appareil photographique a été remplacé par des satellites. A partir d’images provenant de Google Earth, les Poirier ont réalisé une série de peintures blanches monochromes représentant des ruines en relief qui affleurent à la surface d’un désert immaculé. Intitulées Mésopotamie (2014-15), ces peintures reproduisent des sites archéologiques majeurs tel que la ville antique de Babylone. Néanmoins, toutes ces ruines sont transposées dans un environnement désertique, sorte de paysage futuriste où seuls les pipelines nous rappellent la présence d’une activité humaine.
Produit spécialement pour l’exposition, le tapis intitulé Alep (2015) représente de prime abord les ruines d’une autre cité antique. Il s’agit en réalité du centre historique d’Alep photographié avant les récents conflits qui l’ont partiellement détruit. Là encore, les satellites ont permis de conserver l’image de cette ville classée au patrimoine de l’humanité. Elle est transposée dans cette œuvre par le biais de la technique traditionnelle du tissage de tapis. Réalisé par une famille de réfugiés tibétains à Katmandou dont Anne et Patrick Poirier se sont liés d’amitié lors d’un voyage au Népal en 1964, ce tapis a été fait de matériaux fragiles (laine, soie, fibre de bambou).
L’association des hautes technologies et de la technique traditionnelle est inattendue. Cet anachronisme technique s’ajoute à la distanciation de la représentation du monde contemporain où les frontières entre réalité et fiction sont toujours plus perméables. En réponse à une civilisation obnubilée par le présent et sa couverture médiatique, Anne et Patrick Poirier brouillent dans leur œuvre tous les repères temporels et spatiaux. Ils effectuent d’incessants mouvements de balancier entre la mémoire des civilisations anciennes et la fiction d’un monde futur.
Cette exposition est également l’occasion de retrouver quelques travaux plus anciens tels que l’installation 2235 AP JC (2001), une immense maquette reproduisant une ville futuriste post-apocalyptique, ou encore les Valises (1968) et la série de photographie Selinunte, les paysages révolus (1973) qui nous renvoient non sans ironie à l’innocence et l’intimité du tourisme contemporain.
Vernissage
Samedi 5 septembre 2015 Ã 16h
critique
Mesopotamia