D’emblée la peinture de Pia Fries s’affirme comme réflexive. En effet aucune de ses œuvres n’échappe au dispositif suivant: un tableau dans le tableau, la représentation d’une nature morte qui, déchirée en deux, laisse s’échapper de la couleur pure à la surface de la toile.
Mise en abîme, retour sur elle-même de la peinture qui met en exergue ses deux modes opératoires, la figuration et l’abstraction. D’un côté des coquillages, des papillons ou des végétaux, de l’autre des amas de couleurs visqueuses ou granuleuses.
À ce jeu entre abstraction et figuration correspond l’alternance entre représentation et présentation. Tandis que la figuration imite une chose absente de la toile, re-présente ce qui est ailleurs, l’abstraction montre ce qui est présent dans la peinture, présente ce qui est donné, ce qui est là : la matière, la couleur, la surface plane.
Ainsi, composées de morceaux de natures mortes et de couleurs pures, chacune des toiles de Pia Fries fait cohabiter représentation et présentation, deux systèmes picturaux le plus souvent opposés.
Alors que la représentation fait appel à l’intellect —il s’agit d’identifier ce qui est vu, de mettre un nom sur le visible—, la présentation convoque la sensibilité, fait sentir ce qui est donné —la sensibilité est la meilleure réponse face au sensible/matériaux. Intellection contre sensation.
Or, c’est précisément cette opposition que mettent en crise les toiles de Pia Fries. En laissant s’échapper de la couleur pure des natures mortes, l’artiste démontre que si représentation et présentation s’opposent dans leurs procédures, l’une et l’autre ont le même but: produire une sensation.
À l’intérieur de la représentation le travail de l’intellect —identifier les figures—, se joint à celui de la sensibilité —éprouver la manière dont les figures sont représentées: ce qui est déchiffré oriente ce qui est senti, ce qui est éprouvé influe sur ce qui est compris. Pour reprendre les termes de Mikaël Dufrenne, le fond doit être saisi dans la forme, l’unité signifiante du tableau est «la forme grosse du fond».
Ainsi, si les toiles de Pia Fries alternent entre figuration et abstraction, représentation et présentation, c’est pour mieux en brouiller les frontières.
Pia Fries
— Triton’s trumpet, 2008. Huile, fac-similé, crayon sur bois. 80 x 60 cm x2.
— Branching star, 2008. Huile, fac-similé, crayon sur bois. 80 x 60 cm x2.
— Wilde Wespe von Maribonse, 2008. Huile, fac-similé, crayon sur bois. 80 x 60 cm x2.