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Memento Mori

L’auteur et metteur en scène n’est pas à sa première incursion dans les zones troubles où l’art touche aux secrets les plus profonds de l’être humain. En 2008 Libido sciendi créait l’événement: un véritable traité littéral du désir érotique. Pascal Rambert fait partie de ces hommes de théâtre qui placent la danse à l’horizon possible de leur pratique. Avec Memento Mori, il pousse encore plus loin sa quête, accède aux origines du mouvement, situe son travail dans le lieu impondérable d’avant l’apparition des formes.

Le plateau est vide, un son bas, comme des cigales éloignées, berce la salle alors que la lumière va progressivement vers son extinction. L’obscurité s’installe, se densifie. Nous sommes happés par l’expérience du noir absolu, à la fois douce et autoritaire, qui entraine rapidement une perte de repères. Les sens sont aux aguets, au point d’enclencher des mécanismes hallucinatoires. Il y va de visions plus que d’images.

Yves Godin parle d’un «dispositif vivant de révélation, d’apparition, d’impression». Son travail de lumière avoisine la maestria d’un Rembrandt qui joue sur les clairs-obscurs. Il radicalise une recherche déjà entamée dans le solo inaugural d’Emmanuelle Huynh, Mua, en 1995. L’espace devient pulsatile, des respirations de lumière le modulent, par touches diffuses d’une extrême finesse, des corps se laissent deviner, présences insistantes à l’état insaisissable, qui fluctuent entre l’opacité solide et le flottement furtif.

Avec l’insistance quasi-douloureuse des persistances rétiniennes, des gestes simples déchirent l’obscurité, des bras se tendent, des corps s’écartèlent. Des apparitions hallucinées se nourrissent du noir pulsionnel qui vibre désormais, saturé, grouillement de corps déformés par la furie animale du désir arrachés aux images d’Antoine d’Agata ou encore obstinée suspension aérienne d’un danseur étoile, aux traits minutieusement accrochés à des clous, comme dans une installation de Julien Salaud.
Des pans de lumière noire et laiteuse creusent et élargissent l’espace. Des gravures pariétales s’animent. Lenteur irréelle et décharges fulgurantes rythment une ronde qui entraine, charrie, entrechoque des bribes d’une histoire de l’humanité, des survivances de l’histoire de l’art, enfin des éclats d’histoires individuelles.

Pascal Rambert et Yves Godin ont l’intuition d’un fertile lâcher prise, ils travaillent l’abolition du temps, de l’espace, des rôles. Memento Mori pose un geste d’une générosité inouïe: libre à chacun d’y suivre ses chemins et construire des dramaturgies personnelles. La dernière image de la pièce est d’autant plus bouleversante. Des respirations haletantes, des bruits de corps qui se touchent, des secrétions qui suintent, l’odeur douçâtre des fruits écrasés la préparaient déjà. Dans la lumière crue, nous sommes brutalement confrontés à l’effroi de la vie, dans son excès dionysiaque, vie poussée jusqu’à l’épuisement dans la lourdeur éclatante des chairs.

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