Dans les photos en noir et blanc de grand format et les deux vidéos composant Memento Mori, Edouard de’Pazzi saisit la fragilité de l’être, qui vacille entre l’affirmation de sa présence et les forces d’anéantissement à l’œuvre dans sa présence même.
Les photos évoquent la tradition des vanités picturales et la présence souterraine de la mort au cœur de la vie, tant par l’objet qu’elles représentent, comme le crâne humain, que par la manière de le représenter: un flou subtil absorbe souvent tout ou partie de l’objet, jusqu’à le plonger partiellement dans des ténèbres évoquant la mort et le néant éternels.
Chaque photographie capte son sujet dans sa présence et dans son absence, dans ce moment où être est déjà disparaître. L’éclat parfois irisé de la lumière blanche et la profondeur du noir se mêlent intimement, et leur jeu célèbre à la fois l’instant d’éternité que la vie, si éphémère soit-elle, arrache à jamais à la mort, et l’éternité tout aussi nécessaire que la mort remporte sur la vie.
Cette dualité s’exprime toutefois selon des échelles de temps différentes, qui vont d’une période de la vie, évoquée par les corps flottant dans une sorte de durée suspendue proche de l’extase, à celle d’un instant, que suggère la goutte d’encre se dissipant en arabesques irrégulières dans l’eau. Entre les deux, l’épanouissement de quelques heures ou de quelques minutes de la fleur saisie dans sa pleine éclosion, mais qui demain sera fanée. Edouard de’Pazzi rappelle ainsi l’ambivalence de l’image photographique, qui éternise l’instantané mais en rappelle précisément le caractère transitoire.
Les deux vidéos évoquent, chacune à leur façon, la plénitude existentielle — impossible ou au contraire d’autant plus intense? — qu’implique une telle conception de l’être et du temps. La première filme à travers un voile sombre une femme nue, qui semble endormie. Ses mouvements doux suggèrent une intimité primitive ou fœtale, que le voile empêcherait d’atteindre, comme le souvenir lointain d’une vie archaïque, immédiate, inconsciente d’elle-même car inconsciente de la mort.
La seconde fait se superposer et se succéder, par un jeu de transformations progressives, des visages, des corps qui passent de l’épanouissement vital à la décomposition, des gouttes d’encre qui tombent dans l’eau et perdent leur forme pleine et arrondie. Les coups saccadés d’un métronome rappellent la marche inexorable du temps. À la profusion des formes répond leur corruption macabre, dans un cycle où la mort semble toutefois avoir le dernier mot.
Memento Mori déplore l’impossibilité d’une vie pleine et entière, mais célèbre aussi l’intensité fugace que seule la conscience de la finitude peut donner à la vie: sans conscience de la mort, il ne saurait y avoir ni conscience de la vie ni jouissance de son bref passage.
Edouard de’Pazzi
— Transparition I, 2005.
— Maxime, 2005. Série Visages.
— Procession, 2003.
— Crypte, 2003. Série Architectures de lumière.
— Vanité, 2005.
— Pavot, 2005.