Ce qui caractérise le travail de Donata d’Urso, depuis la découverte de cette fabuleuse performance Collection particulière — créée et présentée aux Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis en 2005 — est sans doute cette attention délicate accordée au mouvement minimal du corps. Avec virtuosité et maîtrise du geste, elle donne à lire le corps par sa peau. Expression d’une féminité puissante, mi-déesse, telle Athéna, mi-animale, telle une araignée, elle tisse avec son corps un lien sensible et laisse découvrir des lignes de force, dans ses formes arrondies.
Avec cette nouvelle création, elle expérimente le corps par l’intermédiaire d’une structure dynamique, constituée de trois grandes tiges de métal de forme tubulaire, reliées les unes aux autres par des cordes élastiques. Le mouvement et la structure se répondent dans une même dynamique. Face à ce corps en tension, l’on assiste à une métaphysique du geste qui agit sur nos êtres dans une hypnose gracieuse. Sur scène, se met en place un espace pensé de manière architecturale. Qualifiant cette structure, Maria Donata d’Urso préfère parler de dispositif plutôt que de décor, pour renforcer l’idée de l’interaction qui se crée entre les câbles en tension et le corps. L’on ne s’étonne pas de savoir qu’elle a d’ailleurs fait un détour par l’architecture avant de venir à la danse. Dans son travail, elle fait appel à un concept utilisé tant dans le domaine de l’architecture que dans le domaine de la biologie. Il s’agit de la notion de « tenségrité », combinaison des termes « tension » et « intégrité », visant à décrire une des caractéristiques de nos membranes cellulaires. Celles-ci, éléments élastiques, permettent la liaison entre des éléments rigides et discontinus du corps qui visent à l’équilibre global. Transposée à l’architecture, cette notion caractérise la faculté d’une structure à se stabiliser elle-même par le jeu de forces de tension et de compression réparties sur une surface. Le dispositif de cette pièce en propose un cas exemplaire, reliant des barres par des câbles, sans relier les barres directement entre elles, se constitue un système en équilibre, ayant une résistance solide.
Le corps joue entre gravité et apesanteur, prenant ses appuis dans des postures défiant nos habitudes. Il se fait sculpture dans une figuration abstraite de la corporéité. Athlétique et sensuelle, l’attitude traduit tant une audace délicate qu’une exploration physique et sensorielle du vivant. À la manière de Francis Bacon, la chorégraphe cherche non pas une image du corps, mais sa mise en tension, permettant de figurer sans illustrer. S’en suit une réflexion sur la peau. Chez Bacon, peindre la chair suppose le dépassement de la peau comme enveloppe, elle devient viande, pure expression d’intensités de vie. Le peintre incarne la peau en dépassant l’idée qu’il s’agit d’une simple surface. Elle n’est pas seulement une frontière, mais un lieu de passage, partie prenante de l’intelligence du corps.
Pour Maria Donata d’Urso, la peau est un espace de la mémoire. À travers elle, le signe s’inscrit malgré la volonté. Ainsi, elle interroge la projection mentale de se souvenir et son lien avec la surface de nos corps. Elle incarne, à sa manière, la coparticipation de différents composants, émotifs, physiques et nerveux donnant naissance à nos mémoires.
Durée : 40 min
— Conception, chorégraphie et interprétation : Maria Donata d’Urso
— Composition, musique électronique (live) : Kim Cascone
— Lumière : Maryse Gautier
— Assistant régisseur lumière : Bruno Marsol
— Dispositif : Frédéric Casanova, Jérôme Dupraz, Maria Donata D’Urso