DANSE | SPECTACLE

Built to Last

20 Mar - 24 Mar 2019

Dans une époque où affleure la peur d'une extinction imminente de l'espèce humaine, de son propre fait, Meg Stuart interroge le durable. Avec Built to Last, la chorégraphe américano-européenne parcourt l'histoire de la musique, avec son grandiose et son sentiment d'éternité.

Avec Built To Last (2015), la chorégraphe américaine Meg Stuart (Cie Damaged Goods) livre une pièce façonnée par et pour la musique. La grande musique. Celle qui fait officiellement partie de l’Histoire de l’Humanité. Performance pour cinq danseurs, Built to Last mobilise ainsi des monuments musicaux. Et les cinq performeurs — Dragana Bulut, Davis Freeman, Anja Müller, Maria F. Scaroni, Kristof Van Boven — se frottent alors à douze génies du genre. Cinq êtres humains simplement normaux, face à Pérotin, Ludwig van Beethoven, Iannis Xenakis, Arnold Schönberg ou encore Meredith Monk. Pourquoi une telle insistance sur le décalage ? Peut-être parce que ce rapport à la durabilité, des biens comme des personnalités, a considérablement évolué au cours des XXe et XXIe siècles. Entre obsolescence programmée et fin des utopies, dans un monde post-Andy Warhol, il y a presque de l’ironie à rechercher encore du built to last [du construit pour durer].

Built to Last de Meg Stuart : un voyage aux confins de l’histoire humaine

En 1968, Andy Warhol promettait à chacun quinze minutes de célébrité. Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, les réseaux sociaux et la reconnaissance généralisée feraient presque espérer quinze minutes d’anonymat. Chorégraphe américaine installée en Europe (Bruxelles et Berlin), Meg Stuart propose ainsi un voyage à travers l’aventure humaine, en prenant la musique comme viatique. Pourquoi un tel périple ? Pour mieux souligner la charnière entre unisson et individualité. Notant que les sociétés humaines ont graduellement abandonné les utopies collectivistes, pour se replier sur les droits individuels, Meg Stuart propose une réflexion chorégraphique autour du rassemblement. Avec une sélection musicale mobilisant des compositions fédératrices, conçues pour créer une énergie d’émulation autour d’un idéal commun. De Maître Pérotin à Ludwig van Beethoven, plus qu’un outil de distinction sociale, ces œuvres ont d’abord été composées pour réunir, relier. Une arme à double tranchant, quand la musique devient outil de manipulation des masses.

Par la danse s’approprier des monuments musicaux, de Pérotin à Meredith Monk

À la base de Built to Last, il y a le postulat du philosophe slovène Slavoj Žižek. Pour qui la musique demeure ambiguë quant à ses utilisations. Si une certaine musique peut être mise au service d’objectifs diaboliques, l’instant suivant elle pourra servir le bien commun. Ou non. Et en tant que vecteur expressif des passions les plus fondamentales, elle constitue toujours un danger potentiel. Explorant ce pouvoir ambivalent, Meg Stuart déploie une scène où gravite un système solaire suspendu. Avec un squelette de dinosaure, en kit et en contreplaqué, en guise de figure tutélaire. Tandis que les danseurs, avec leurs morphologies plus proches de la diversité ordinaire que de la statuaire grecque sur piédestal, s’approprient ses musiques monumentales. Par la danse, Built to Last compose ainsi un voyage dans l’histoire humaine. Une rencontre chorégraphique entre le trivial et l’éternité, là où les gestes s’emplissent de grandiose.

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