L’exposition de Denis Laget est une ode aux méduses, qui ne suscitent habituellement nulle sympathie. C’est l’occasion d’apprécier leur beauté délicate, leur grâce urticante. Pareils à ces monstres marins par leur forme sphérique et leur capacité à flotter, des soleils noirs — des désastres comme les appelle l’artiste — viennent compléter le tableau et évoluent dans une réalité abstraite en gestation, une réalité attendant une définition.
Ces œuvres récentes de Denis Laget sont un voyage au cœur de la matière, au pays merveilleux de la couleur. Celle-ci, brouillée au fusain, est un ensemble de tons sombres évoquant la sérénité, voire la méditation. Les ocres, les pourpres, les violets et les émeraudes fusionnent merveilleusement. La matière, quant à elle, consistante par nature, semble paradoxalement transparente.
La peinture à l’huile sur papier a subi un traitement original : son homogénéité a été éclaboussée par des gouttes d’essence de térébenthine savamment réparties.
Mais le véritable intérêt des oeuvres se trouve moins dans la représentation physique des méduses que dans ce qu’évoque leur origine. Animal pluricellulaire primitif, la méduse est apparue il y a environ 680 millions d’années, à une époque où toutes les évolutions, et toutes les déviances, étaient encore possibles.
On peut imaginer que des systèmes complètement insensés pouvaient alors se développer pour créer un univers improbable. Le décalage délicieusement déstabilisant entre ce qui est représenté et les titres des oeuvres trouve ici une explication partielle.
On peut dès lors saisir le rapport entre une méduse et l’interrogation «Dieu pourrait-il se suicider?». Ou la supposition «L’Équateur n’est peut-être pas à sa place». Ou encore l’affirmation «La vitesse de la lumière est exactement de 87026 mètres pas seconde».
Les méduses, créatures antédiluviennes, sont un prétexte pour redonner la parole aux auteurs des théories les plus folles qui ont bel et bien existé et qui ont été une source d‘inspiration pour Denis Laget.
Ses peintures sont une sorte d’hommage à ces personnages tragi-comiques, exhumés des brumes de l’Histoire par le poète André Blavier et recensés par ses soins dans l’ouvrage Les Fous littéraires. Elles sont le résultat d’une empathie.
Par exemple, le fantasque Vincent-Arnould Havaux, sincèrement convaincu que la Terre ne tourne pas autour du soleil, a bataillé pour démontrer l’exactitude de son mode planétaire : «Pour m’armer contre la réplique et les protestations savantes, a-t-il déclaré, j’ai recréé un vieux langage, connu dans le monde entier, mais que personne ne comprend plus.»
A l’image des fous littéraires qui l’ont inspiré, Denis Laget définit son propre mode planétaire où des éléments sphériques comme les méduses et les astres flottent en apesanteur dans des paysages délavés, vaporeux et impossibles à situer. Dans l’attente d’on ne sait quelle définition.
Denis Laget :
— Mon mode planétaire, 2005. Huile et fusain sur papier. 100 x 70 cm.
— Le vrai Système du monde, 2005. Huile et fusain sur papier. 100 x 70 cm.
— Dieu pourrait-il se suiscider ?, 2005. Huile et fusain sur papier. 100 x 70 cm.
— L’Inutile est inadminissible, 2005. Huile et fusain sur papier. 100 x 70 cm.
— Court-circuit, 2005. Huile et fusain sur papier. 100 x 70 cm.
— Méduse, 2005. Huile et fusain sur papier. 100 x 70 cm.
— Qu’une existence de fait, 2005. Huile et fusain sur papier. 100 x 70 cm.
— La Vitesse de la lumière est exactement de 87026 mètres par seconde, 2005. Huile et fusain sur papier. 100 x 70 cm.
— De l’arbitraire au nécessaire, 2005. Huile et fusain sur papier. 100 x 70 cm.
— La Théorie des marées ne repose que sur des hypothèses, 2005. Huile et fusain sur papier. 100 x 70 cm.
— Ces Choses informes, 2005. Huile et fusain sur papier. 100 x 70 cm.
— Une émotion sans aucun progrès, 2005. Huile et fusain sur papier. 100 x 70 cm.