Cette nouvelle exposition de Dove Allouche se place dans la droite lignée de ses expérimentations précédentes, et mêle habilement dessin et photographie pour mettre en lumière des sites souterrains, engloutis dans la pénombre. Car après s’être immergé dans le réseau égoutier parisien avec Déversoirs d’orages en 2009, Dove Allouche se plonge désormais dans de lugubres et énigmatiques cavernes préhistoriques.
Le titre «Mea culpa d’un sceptique» renvoie effectivement au livre d’un des fondateurs de la paléontologie, Emile Cartailhac, rédigé suite à la découverte de la première grotte préhistorique en 1874 sur le site d’Altamira (Espagne). Alors qu’il refuse d’admettre pendant près de vingt ans que les dessins retrouvés sur les parois de la grotte puissent être l’œuvre de nos ancêtres, le scientifique français se rend finalement à Altamira pour étudier le sol et les murs de la caverne. Là , il inspecte des traces d’outils humains ou de pigments, et doit bien avouer que l’on a affaire à un art authentiquement préhistorique.
L’un des enjeux de ces recherches consiste à se demander comment de tels dessins ont pu être exécutés au fin fond d’une grotte obscure. Aux alentours de 1880, on apprend que l’homme du paléolithique maîtrisait le feu grâce à de petites lampes à huile, et pouvait s’éclairer, dès lors, pour réaliser des peintures figuratives (représentation d’animaux) ou abstraites (répétitions de lignes, de motifs et d’incisions sur les murs des cavernes), confirmant l’émergence d’un langage pictural propre aux communautés humaines.
Dans L’Enfance de l’art, Dove Allouche s’inspire de ces découvertes scientifiques en matière d’art pariétal, non pas pour affirmer que le paléolithique constituerait le degré zéro de l’art, à partir duquel un progrès technique et mimétique se développerait dans l’histoire de l’humanité, mais pour faire émerger une image à partir d’un matériau préhistorique opaque. L’artiste a effectivement récupéré un extrait du plancher de la grotte Chauvet qu’il découpe en minces tranches, colle sur une plaque de verre, et sur lesquelles il projette de la lumière afin d’en redessiner les veines et les contours. La coupe de calcite, devenue translucide grâce à son extrême finesse, est ainsi reproduite à la main par Dove Allouche, qui utilise d’ailleurs de l’hématite, un oxyde de fer rouge employé comme pigment dans les grottes préhistoriques.
Comme souvent dans la pratique de Dove Allouche, photographie et dessin se côtoient intimement. Car la couche de calcite fonctionne comme une diapositive projetée, et vient rappeler la définition dite «indicielle» de la photo. Toutefois, si la photographie est traditionnellement comprise comme une marque ou une trace de la lumière émanant des objets naturels, et se calque justement sur le modèle de l’empreinte que les objets et les êtres laissent sur le sol d’une grotte, elle n’est jamais considérée chez Dove Allouche comme une représentation figurative du réel.
Pour Dove Allouche, il s’agit plutôt de mettre en lumière un matériau ancestral, resté enfoui dans l’obscurité — geste qui peut nous rappeler le célèbre mythe de la Caverne platonicienne, où l’on s’extirpe soi-même du monde des ombres pour remonter à la luminosité du soleil. De même, dans Pétrographie, de fines lamelles de stalagmite, provenant de la grotte de Remouchamps (Belgique), agissent comme des négatifs, dont l’image est projetée et l’échelle démultipliée grâce à un agrandisseur photographique.
Par là , Dove Allouche rappelle qu’il est possible de faire de la photographie «sans appareil», comme nous y exhortait déjà le théoricien de la Nouvelle Vision, Laszlo Moholy-Nagy, à l’époque des avant-gardes. La photographie se défait même définitivement de toute optique avec la série Over the Rainbow. Alors qu’il s’était déjà procuré en 2011 une boîte contenant neuf photographies stéréoscopiques anciennes, Dove Allouche réitère la même expérience et dissocie ces images doubles initialement conçues pour être superposées et contemplées à travers un appareil spécial, créant une illusion de profondeur. Ainsi, plutôt que de donner l’ascendant à la perspective, à la physique ou à l’optique, l’artiste souligne encore que la photographie est avant tout l’invention des chimistes, comme l’affirmait Roland Barthes dans La Chambre Claire: tout est affaire de lumière, tout repose sur l’impression de la plaque sensible et l’alchimie des matériaux utilisés.
Aussi, Dove Allouche ne rattache plus la photographie à l’instantanéité. Au lieu de se cantonner à la représentation d’un moment fugace, les images de Pétrographie s’inscrivent plutôt dans la durée du vivant pour nous livrer les âges et les époques qu’a traversés la stalagmite. En ce sens, l’image produite par Dove Allouche nous fait penser aux coupes transversales d’un tronc d’arbre, que seul le regard averti d’un scientifique saurait déchiffrer. Encore, l’agrandissement de la roche brouille toute échelle, et semble nous proposer des vues aériennes de paysages, des découpages de rives, ou des cartographies macroscopiques.
Avec Sunflower, qui propose sans doute les Å“uvres les plus séduisantes de l’exposition, Dove Allouche se replace de nouveau dans les mêmes conditions de production que nos ancêtres du paléolithique, qui peignaient dans une quasi obscurité. Enfermé dans une chambre noire, l’artiste étale à l’aveugle une solution d’argent sur un papier cibachrome. Ici, il réaffirme sa fascination pour les procédés photographiques anciens, comme c’était déjà le cas avec les héliogravures de Déversoirs d’orages ou les physautotypes de Granulations qui réactivaient des techniques entrevues à l’époque de Nicéphore Niepce. Dove Allouche utilise en fait un papier rare et onéreux, voire dangereux, à cause de la présence de mercure dans ses composants, et s’inspire surtout des procédés des miroitiers. Le papier est parcimonieusement exposé à la lumière et laisse deviner les gestes qu’a effectués Dove Allouche pour répandre l’argent, à travers quelques marques brunes.