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Maurizio Cattelan

Catherine Grenier. Parle-moi du projet que tu vas présenter au musée Guggenheim de New-York (novembre 2011-janvier 2012). Tu disposes de l’ensemble du musée….
Maurizio Cattelan. C’est une exposition dans laquelle j’ai réuni plus de cent œuvres, pratiquement toutes mes œuvres depuis mes débuts. Mais elles sont installées d’une façon très spéciale, qui les met toutes au même niveau: le pape à égalité avec le cheval suspendu, ou avec le squelette de chat géant…

Comment as-tu conçu ce projet? Comment était formulée la proposition?
Maurizio Cattelan. La proposition était toute simple: faire une exposition! Le Guggenheim est un lieu très spécial, c’est impossible de ne pas penser à son histoire, à la façon dont il a été utilisé. Il n’y a pas mille façons de changer la configuration du musée. Au MoMA ou au Whitney Museum, les espaces sont plus flexibles, on peut trouver différentes façons de les utiliser. Au Guggenheim, il n’y a pas de salles, juste cette incroyable rampe, immense. On pourrait y rentrer avec un camion, comme dans un garage, si le musée était vide. Concernant la proposition qui m’a été faite, Nancy Spector ne m’a pas demandé de réaliser une œuvre nouvelle, mais de faire une exposition qui fasse le point sur vingt ans de carrière.

Mais c’est précisément ce que tu ne voulais pas faire jusque là.
Maurizio Cattelan. Oui, c’est une chose que j’ai longtemps refusée. Pour moi une rétrospective est comme le signal que tout ce que tu voulais dire est désormais dit. Mais à Bregenz [en 2008] il s’est passé quelque chose d’étrange, et d’une certaine manière au Palazzo Reale [en 2010] aussi. Réunir deux ou trois œuvres m’a fait réfléchir à ce que ça pouvait donner de les voir toutes ensemble. L’exposition au Guggenheim s’est alors présentée à moi, en m’offrant cette opportunité.

Entre Bregenz et le Guggenheim, tu as réalisé une exposition dans la Menil Collection, à Houston.
Maurizio Cattelan. Oui, mais dans ce cas toute l’exposition était bâtie à partir du musée lui-même. On m’a demandé d’établir un dialogue avec la collection du musée, et j’ai choisi alors de montrer des œuvres réalisées dans les trois dernières années, en lien avec des œuvres d’époques et de provenances géographiques différentes. La collection Menil est vraiment très intéressante, et l’espace qui l’abrite aussi. Il y a un département océanographique, un département consacré à l’Antiquité, un département moderne et contemporain. C’est un petit musée, mais très riche. C’est une expérience qui m’a rassuré, elle m’a donné confiance en moi. J’ai eu la confirmation qu’il m’était possible de montrer des projets à plus grande échelle, et de travailler dans des conditions particulières. Ce qui m’apparaissait au départ comme une contrainte a été finalement un grand moment de liberté.

L’exposition au Guggenheim n’est pas une rétrospective traditionnelle.
Maurizio Cattelan. Au Guggenheim, aucune exposition n’est traditionnelle! Les œuvres sont toutes suspendues dans l’espace, de haut en bas, et on les observe en se promenant le long de la rampe laissée vide. Je présente ainsi cent vingt de mes œuvres, y compris les plus grandes. L’Arbre que j’ai présenté à Manifesta 2 et qui fait sept mètres de haut, le baby-foot géant, le squelette de chat, le pape…

Ces œuvres viennent de tous les coins du monde?
Maurizio Cattelan. Oui, elles proviennent des différentes collections, et de diverses parties du monde. Pour ce genre d’exposition, la première question était de réussir à convaincre le musée de faire le projet. Puis, il fallait convaincre les techniciens qu’on pouvait réaliser une telle opération sans mettre en péril les œuvres des collectionneurs ni la structure du musée. Ensuite, il fallait convaincre les collectionneurs de nous confier leurs œuvres. Et enfin, une fois ces conditions réunies, il fallait réussir à rendre tout le monde heureux! Je vois cela comme un manifeste, un manifeste joyeux…
Quand une occasion pareille se présente, la façon dont tu décides d’organiser tes œuvres prend du sens. Une rétrospective, c’est l’occasion de réfléchir, de voir réuni, d’un seul coup, tout ce qui n’a été visible que séparément auparavant. C’est aussi un moment durant lequel l’artiste est célébré, reconnu, un peu comme un groupe de rock quand il sort des greatest hits. D’ailleurs nous aurions ou faire une tournée sur la côte Ouest, dans les musées de San Francisco, etc. Une rétrospective classique aurait aussi circulé en Europe, à Paris, Londres… C’est en tout cas ce qu’on m’a proposé.

Et tu as refusé?
Maurizio Cattelan. La question n’est pas de savoir si j’ai refusé. C’est qu’il aurait été impossible de reproduire cette exposition dans un autre endroit avec les mêmes caractéristiques. Pour le musée, bien entendu, il était normal que cette exposition voyage, c’était dans le contrat. Mais ma vie aurait été un enfer. Un pur enfer. Je ne peux pas imaginer deux autres expositions avec ce nombre d’œuvres! Dans deux autres espaces?!

On dirait un peu un théâtre de marionnettes, non…?
Maurizio Cattelan. Moi ça me fait plutôt penser aux salamis. C’est comme ça qu’on les conserve, pendus au plafond. J’ai traité mes œuvres comme des salamis!

Une de tes premières œuvres était ainsi suspendue dans le vide…
Maurizio Cattelan. Oui, c’est vrai. Certains anciens modes d’exposition réapparaissent.

C’est plus impressionnant que n’importe laquelle de tes précédentes expositions.
Maurizio Cattelan. Il n’y a plus de hiérarchie dans les œuvres, elles sont toutes au même niveau. Et de ce fait, ça ôte le côté tragique de certaines des œuvres. Toutes ces œuvres réunies forment une autre œuvre, une œuvre unique. Pendant des années j’ai travaillé à la décontextualisation. Maintenant j’en suis arrivé au point où je me décontextualise moi-même.

Est-ce que l’installation est compliquée…?
Maurizio Cattelan. D’un point de vue conceptuel, pas vraiment. La difficulté est surtout technique.

Quels sont tes projets au-delà de cette exposition?
Maurizio Cattelan. Je ne sais pas, peut-être que je vais prendre ma retraite. Je crois que c’est le bon moment. Désormais, je suis pris dans l’engrenage d’une machine qui me sollicite constamment. Aujourd’hui, je suis indépendant économiquement, alors pourquoi continuer à vivre comme ça? Je me demande s’il y a du sens à se lancer dans la réalisation d’œuvres nouvelles. Le risque principal maintenant est de me répéter. Je ne veux pas entrer non plus dans une logique d’atelier, avoir des assistants, produire les œuvres en série… Pour un artiste comme moi, à ce moment de mon parcours, il est important de se situer par rapport au marché et par rapport à ce que j’ai fait jusqu’à présent. Et peut-être que la seule façon de le faire est d’arrêter. De faire autre chose. J’ai toujours considéré le fait d’être artiste comme un métier, je peux changer de métier. Par exemple, le projet de Toilet Paper échappe au marché: il n’y a rien à vendre, rien à collectionner, c’est juste un magazine… Je crois qu’aujourd’hui, face à la masse des images produites par les médias, la principale responsabilité est d’ordonner ces images, de donner un sens aux choses.

Extrait de Catherine Grenier, Maurizio Cattelan, Le saut dans le vide, éd Seuil (collection Fiction et Cie), 2011.

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