Chorégraphe attentive aux structures, Maud Blandel (Cie ILKA) scrute ce qu’elle nomme la culture du spectaculaire. Une recherche qui l’a d’abord portée à explorer la mise en scène de l’hystérie au XIXe siècle, avec Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière (Leçons du mardi, 2014). Puis le phénomène de culte autour des cheerleaders et pom-pom girls, entre idoles et icônes, dans le football américain (Touch Down, 2016). Et, troisième opus, la tarentelle dans la culture du Sud de l’Italie (Lignes de conduite, 2018). Pièce pour quatre danseuses — Gabriela Gómez Abaitua, Maya Masse, Romane Peytavin, Caroline Savi Marsalo —, Lignes de conduite plonge dans la tarentelle. Cette danse conjuratoire dont l’un des buts initiaux était de guérir les personnes piquées par des araignées et frappées de tarentisme. Motif culturel ayant perduré, la tarentelle n’en a pas moins changé. Et sur une composition sonore de Charlemagne Palestine, Lignes de conduite explore le glissement.
Lignes de conduite de Maud Blandel : la tarentelle, de la transe au spectacle
Artiste américain, Charlemagne Palestine est notamment connu pour ses compositions sonores minimalistes et obsessionnelles. À l’instar de ses installations amoncelant quantité de peluches multicolores. Compulsion d’accumulation pop et immersive, les pièces de Charlemagne Palestine plongent les spectateurs dans une forme d’hypnose, de cocon. Rite tellurique, chamanique, cathartique… À la base, les tarentelles s’apparentaient à des cérémonies de transe rituelle. Sorte d’exorcismes pouvant embrasser plusieurs jours. Pour une extase (sortie de soi) collective, visant à soigner l’individu comme la communauté. Pratique pré-catholique, le syncrétisme chrétien l’a conservée au prix d’une conversion. La tarentelle s’est alors métamorphosée en danse visant à s’attirer les grâces de Saint Paul. Puis, tourisme oblige, la tarentelle est également devenue synonyme d’attraction culturelle, de curiosité locale, ou encore de folklore régional typique. Autant de changements qui auront également modifié ses formats. De danse pouvant durer plusieurs jours à spectacle calibré sur une à deux heures.
Maud Blandel : la culture du spectaculaire, ou ce que le spectacle fait à la danse
Avec Lignes de conduite, c’est ainsi le phénomène de mise aux normes que scrute Maud Blandel. Pour une plongée dans la structure de la spectacularisation, ou de la folklorisation. Autrement dit, dans ce qui change les vertus prêtées à la danse (soin, guérison). Avec une pièce qui ausculte ces lignes de force façonnant les champs culturels. Danse physique, la tarentelle de Maud Blandel remet aussi au jour une part du féminin. La dépense, le souffle, l’énergie sans retenue, le halètement, le cri — d’extase, d’exultation… Il y a forcément quelque chose de puissant dans cette expression corporelle. Quelque chose d’actif, sous le vernis touristique. Et grattant la pellicule du traditionnel (plus ou moins authentique), Lignes de conduite explore aussi un pan de l’histoire féminine. Dans la mesure où les personnes victimes de tarentisme étaient aussi souvent des femmes. Pour une pièce, en somme, qui interroge et actualise la possession contemporaine.