Chorégraphe, danseur, performeur, Matthieu Nieto (Cie Mouvements migrateurs) fait bouger les lignes. Ou plutôt ne se cantonne-t-il pas aux lignes dominantes du moment. Il naît à Toulouse (en 1987), grandit en Ariège, plonge à quinze ans dans les danses mandingues (Afrique de l’Ouest), fait ses premiers pas sur scène à Bamako (Mali), en 2006. Les oiseaux migrateurs suivent des lignes, des trajectoires, qui existent et évoluent au fil des siècles. Matthieu Nieto cultive lui aussi une approche du mouvement qui englobe le particulier comme le général. Mouvement du corps, mouvement des corps. Avec son solo I came here to talk (2017), il livre une performance chorégraphique engagée. Un solo mêlant Voguing, R&B, gender studies, études post-coloniales… Dans un dispositif visant à proposer une corporalité transculturelle. Un dispositif ouvert et inclusif, dans lequel les publics peuvent aussi circuler.
I came here to talk de Matthieu Nieto : danse et corporalité transculturelle
Seul sur scène, Matthieu Nieto incarne le jeune homme blanc. Celui-là même que courtise tant la société occidentale. Cette entité qui se rapproche de ce que le philosophe Gilles Deleuze nommait « étalon vide ». Une construction sociale (vide) reléguant tout le reste au rang de minorité défectueuse. Mais seul sur scène, Matthieu Nieto, dans I came here to talk, ne le reste pas non plus longtemps. Parce que la scène s’ouvre en forum. Parce que l’acteur en représentation n’est jamais seul (à moins de compter les publics pour rien). Et parce que le dispositif de Matthieu Nieto inclut aussi de ces mannequins sans tête qui hantent les vitrines des magasins. S’y attacher, s’en détacher. Les saisir pour déconstruire en soi la violence des étalons vides — tellement intégrée qu’elle en est devenue seconde nature, sinon première. Parce qu’assurément Matthieu Nieto déborde des cases.
Manifeste en faveur des alternatives : sortir des cases par la danse, la voix, les idées
Par sa voix, ses gestes, ses danses, sa présence, Matthieu Nieto produit de l’alternative. Du courant alternatif. Présenté dans le contexte du festival Jerk Off, dédié aux cultures queer et aux émergences, I came here to talk critique la prévalence de certains concepts au bas mot douteux [hiérarchie des races, des sexes…]. Une critique qui se double de propositions, en rendant visibles d’autres manières de faire corps, de bouger, d’habiter le moment présent. En assumant notamment l’altérité. Face à l’injonction du devenir-normal, Matthieu Nieto déploie de la divergence. Quelque chose qui rassemble, combine, pioche, tisse et trame du divers. Glané au fil des rencontres, déplacements et expériences. De Paris, à Bamako, à New York… Sans pour autant oblitérer un point clé : couleur de peau, âge et genre font encore partie des conditions de possibilité (ou de restriction) du voyage. Pour une pièce qui conjure la léthargie, corporelle comme intellectuelle.