DESIGN | CRITIQUE

Matthew Darbyshire

PCasa das sete senhoras
@26 Mai 2012

La Galerie Jousse Entreprise explore les interactions entre art et design en présentant dans son espace contemporain, la première exposition personnelle de l’artiste britannique Matthew Darbyshire. Ses pièces conçues entre 2009 et 2012 proposent une étude scrupuleuse des objets du quotidien qui influencent la manière dont nous investissons nos lieux de vie.

L’exposition de Matthew Darbyshire à la galerie Jousse Entreprise présente avec une certaine solennité des objets familiers, qui nous entourent et façonnent notre vie intime autant que sociale. L’artiste procède à une sorte d’analyse médico-légale de ces choses qui pourraient se limiter à n’être que les produits d’une vie «à la mode»: mobilier design, objets «déco» standardisés, marques à la réputation mondiale. Cependant, choisis, ordonnancés, mis en perspective, extraits du quotidien, ils révèlent «une triste réalité imprégnée de préjugés culturels, d’ambitions insatiables, d’idéologies dévoyées, de sectarismes désuets et de croyances à la carte» (Jousse).

Par une organisation méticuleuse des espaces, Matthew Darbyshire compose des environnements dans lesquels la distinction entre objets manufacturés et objets artistiques «faits main» est quasi imperceptible, jusqu’à la confusion. Côte à côte dialoguent des produits achetés, exposés tels quels et des reproductions à l’identique de mobiliers design façonnés par l’artiste. Art, architecture et design sont décortiqués au travers d’une étude quasi anthropologique.

Dans la première salle, Matthew Darbyshire propose un univers apparemment ordinaire qui ne se dévoile pas d’emblée comme artistique. L’approche est d’abord immédiate et sensible. La scénographie sobre et épurée fait écho à celle des magasins d’ameublement. L’environnement ainsi créé est d’aspect familier, aux formes définies, composé d’objets ordinaires parfaitement reconnaissables.
La pièce est comme une sorte d’état des choses. D’un côté des tabourets design et ethniques mis en vitrine, de l’autre la reconstitution d’un environnement étrangement standardisé: tapis, lanterne, table basse, figurine de Jésus, baskets Nike, etc.
Au fond, des affiches évoquant le sida, montrant des chiens et reproduisant des slogans humoristiques, voire cyniques, détonnent avec cet univers d’apparence hygiéniste. Strictement noir et blanc, le mobilier mis en scène confond les registres et les genres. L’artiste impose une nouvelle perception de notre environnement familier. Dépassant l’évidence, ce n’est qu’après un examen scrupuleux que l’œil relève les discordances.

Dans une vitrine isolée est exposée une collection insolite d’objets préalablement plongés dans un bain d’or. On retrouve disposé, toujours avec méthode — ordonnancement ternaire: trois étagères, trois groupes d’objets — une urne, un plat, un téléphone, des statuettes représentant des animaux, des figures religieuses ou encore une figurine de Mickey.
En prenant appui sur des pratiques ancestrales, l’artiste exploite la valeur symbolique de l’or tout en réactualisant le rite de transformation d’un objet en corps divin — pratique courante dans l’Egypte ancienne. Ainsi, l’emploi de ce métal précieux confère aux objets une charge symbolique particulière.
Sorte de sépulture moderne, l’installation de Matthew Darbyshire joue sur le caractère à la fois sacré et inaltérable dont la patine dorée recouvre les pièces. Ce dispositif plastique invite à porter un autre regard sur les objets manufacturés.

Enfin, Untitled: Accessorised Column se présente sous la forme de quatre vitrines totémiques dans lesquelles sont agencés des pièces, reproduction en résine d’objets usuels. Telles des partitions colorées, les colonnes dialoguent entre elles, dans un jeu de répétition. D’une vitrine à l’autre, on remarque la présence répétée de certains objets, déclinés selon une gamme de couleurs choisies — bleu, jaune, rouge, violet, vert. L’agencement aléatoire incite à une observation consciencieuse.
En jouant sur la frontière entre le quotidien et l’art, Matthew Darbyshire recrée à l’identique des objets auxquels il confère, par l’élaboration d’un protocole de mise en œuvre plastique, le statut d’œuvre. Sa pratique sculpturale renvoie ici aux procédés utilisés par nombre de plasticiens contemporains. Sortes de trophées modernes, les objets présentés se confrontent sur un même niveau de lecture. De la figure de Bouddha au verre coca-cola, l’artiste confond valeur spirituelle et valeur consumériste. L’ordonnancement et l’emploi de la résine participent de la neutralisation de ces icônes contemporaines en homogénéisant leur modalité de réception et de sens.

En décryptant ce que les objets quotidiens traduisent de notre psychologie et de nos attentes collectives, Matthew Darbyshire brouille les pistes. Artiste du dévoilement, il impose une mise à distance en décontextualisant les objets. Par sa pratique singulière de la sculpture, il applique une logique et une analyse artistiques aux moindres faits et objets usuels. Plus qu’une critique, le travail de Matthew Darbyshire propose un état des choses, un appel à l’observation.

Œuvres
— Matthew Darbyshire, Welcome Columns, 2009. Contreplaqué, mousse, vinyle, Chrome. Dimensions variables.
— Matthew Darbyshire, Untitled: Furniture Island No. 7, 2012. Tapis Eliterank , lanterne globe chinoise, Tabouret Tam Tam Branex, table ceintrée, figurine Jesus, miniature Panton chair édition vitra, bang en verre et Nike Air Force 1. 200 x 200 x 200 cm.
— Matthew Darbyshire, Stool Series (Kartell Atilla Stool Black and Carved African Luba Stool), 2010. Tabouret Atlilla édition Kartell, tabouret africain “Luba” sculpté, étagères, Plexiglass. 135 x 56 x 56 cm.
— Matthew Darbyshire, Stool Series (Ethnographical Zig Zag Stool, Eames Walnut Stool), 2012. Tabouret zig zag éthnographique, tabouret Eames en noyer , étagère, plexiglass. 73 x 90 x 55 cm.
— Matthew Darbyshire, Untitled (Posters from Resource Room), 2012. Impressions numériques encadrées. 20 posters de 50 x 40 cm.
— Matthew Darbyshire, Untitled: Shelves No. 11, 2012. Divers objets chromé, étagères, et plexiglass. 140 x 110 x 30 cm
— Matthew Darbyshire, Untitled: Accessorised Column No. 11-14, 2012. Plastiques, verre, chrome, résine, étagères, et plexiglass. 215 x 30 x 30 cm.

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