— Auteurs : préface de Suzanne Pagé (en français), essai de Nancy Spector, glossaire de Neville Wakefield, et contributions de différents acteurs et intervenants dont celles de Richard Serra, Ursula Andress, Jonathan Bepler .
— Éditeur(s) : The Solomon R. Guggenheim Museum, New York
— Année : 2002
— Format : 22,50 x 31,50 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleur
— Page(s) : 530
— Langue(s) : anglais
— ISBN : 3-7757-1171-6
— Prix : 49 €
Lire l’article sur l’exposition « Matthew Barney : the Cremaster Cycle »
Only the Pervese Fantasy can still save us (extrait)
par Nancy Spector
Pour Matthew Barney, un personnage peut aussi bien être incarné par un lieu, un costume, un objet que par une attitude ou une sensibilité. Il peut s’agir d’un satyre dandy, d’un apprenti Franc-maçon, d’une île celte, d’un théâtre baroque ou d’une troupe de soixante danseuses. Ses personnages sont forgés à partir de profils psychologiques et personnifient des topographies intime. Ce sont différents aspects d’un même organisme, d’un système à la recherche d’un point d’équilibre. Au cours de l’élaboration du cycle Cremaster aussi bien dans la forme que dans le contenu, les personnages principaux se définissent et influent sur l’évolution des suivants : le Candidat Loughton dans Cremaster 4; Goodyear dans Cremaster 1; la Reine des Chaînes et sa Diva, son Géant et son Magicien dans Cremaster 5; Gary Gilmore dans Cremaster 2; l’Apprenti Introduit et Hiram Abiff dans Cremaster 3.
[…]
Ce vocabulaire de la métamorphose — où les idées abstraites s’incarnent et la distinction entre matière et esprit s’annule — rappelle les caractéristiques de la littérature fantastique. Appliquant le principe de l’oxymoron, figure rhétorique qui « associe les contradictions et les maintient dans une union impossible sans jamais pouvoir aboutir à une synthèse », le fantastique s’invente une nouvelle réalité. Antirationnel plutôt qu’irrationnel, nourri d’antinomies, il flotte entre le réel et le surréel. Pour le structuraliste Tzvetan Todorov, dans ce genre littéraire, il n’est pas plausible de lier de manière définitive des faits fantastiques à des causes rationnelles. Cela serait la caractéristique de l’Etrange, dans lequel l’inexplicable, quel que soit son degré d’horreur, finit par être expliqué par un évènement antérieur (refoulé) coï;ncidant avec les lois naturelles du monde. Il n’est pas non plus possible d’expliquer les évènements fantastiques par l’intervention de la magie, comme dans les contes de fées qui appartiennent au merveilleux. Le fantastique surgit ainsi entre l’étrange et le merveilleux — entre un passé ancré dans la réalité et un futur aux possibilités infinies.
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Dès ses débuts, Matthew Barney met au point un système en trois parties pour circonscrire le flux et le reflux des différentes énergies du corps : désir, discipline et productivité. La première étape appelée « Situation », correspond aux pulsions à l’état pur. Dans cet état, l’énergie n’est pas canalisée et donc inutile, mais elle est sexuelle et riche de potentialités. Dans un dessin du système de reproduction fœtal avant la différenciation sexuelle, Matthew Barney illustre cette étape par la métaphore du développement embryonnaire. Pendant les six premières semaines suivant la conception, les embryons à gènes XX et XY restent dans un état sexuel indifférencié ; les hormones de croissance restent inertes jusqu’au signal des chromosomes sexuels qui déclenchera la distinction inévitable entre l’état mâle et l’état femelle.
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Dans l’œuvre de Matthew Barney, le stade de l’indétermination génitale est un moment emblématique, le symbole d’un potentiel encore intact, à l’origine du vocabulaire métaphorique qui constitue son univers esthétique. La deuxième étape « Condition » est comparable à un « passage disciplinaire » viscéral qui transforme l’énergie pure du corps. Son analogue anatomique est dans le système digestif. Si la première phase se concentre sur une force créatrice mais sans direction, cette deuxième circonscrit cette force dans le but de la rendre utile. En passant par l’estomac et le tube digestif, l’énergie brute est malaxée, parcellisée et distillée. Par extension de la métaphore digestive, dans la troisième étape, « Production », fait que cette force se manifeste par les voies anale ou orale.
(Texte publié avec l’aimable autorisation de Nancy Spector)
L’auteur
Nancy Spector est commissaire de l’exposition « Matthew Barney : The Cremaster Cycle ».