Matt Saunders a seulement 36 ans, mais son œuvre est déjà hantée par de nombreux fantômes: ceux d’Andy Warhol ou de Rainer Werner Fassbinder, ses deux influences artistiques majeures toujours présentes en filigrane, de vieilles séries télévisées des années 1960 (Danger Man), des icones de cinéma qui reviennent en leitmotiv obsessionnels (l’actrice allemande Hertha Thiele), ou encore des techniques d’animation datant du début du siècle comme la rotoscopie…
A la tête de ce cortège d’apparitions: la lumière ne subsiste que sous la forme d’une clarté lointaine, vestige d’une gloire, d’un rayonnement passé. Dans ses photographies ou ses films d’animation, l’artiste semble en effet capturer une mémoire délavée. Ses images ne sont jamais exclusivement actuelles, mais cumulent des couches de temps qui se cristallisent en un réseau d’empreintes et de réminiscences fugitives.
Les œuvres présentées à l’occasion de cette première exposition à la galerie Marian Goodman — des épreuves photographiques, un film d’animation et une installation vidéo sur trois écrans intitulée Passageworks — portent toutes la trace de leur support originel.
Réalisées à partir de peintures ou de dessins préalables, elles conservent le souvenir des coups de brosses, des coulures, la sensualité et l’onctuosité du trait de crayon.
Les photographies exposées au sous-sol, portraits d’anciens acteurs provenant des séries Agents et Crowds, sont fabriquées sans prises de vue, à partir de peintures à l’encre ou à l’huile utilisées directement comme négatifs. A l’étage, le film d’animation est le résultat d’un assemblage compulsif, et d’apparence anarchique, de milliers de dessins sur mylar (film polyester).
Matt Saunders passe d’un medium à un autre, comme dans Passageworks, où les dessins à l’origine du film — réalisés selon la technique de la rotoscopie qui consiste à relever à la main, image par image, les contours d’une figure filmée — s’inspirent eux-mêmes du mouvement réel. Du cinéma au dessin et du dessin au film, la boucle est bouclée.
L’hybridation des genres, la question de leur circulation et de leur diffusion, les frontières (ici atténuées) entre unicité et reproductibilité de l’art, sont donc au cœur du travail de Matt Saunders.
«Ce qui m’intéresse, c’est moins de revendiquer des Å“uvres que de créer une syntaxe pour les relier entre elles», explique-t-il, peaufinant sa grammaire avec une incontestable virtuosité. Ainsi, un medium en cache toujours un autre, dans un jeu incessant de références. L’œuvre y gagne une épaisseur, un vécu que l’on devine dans sa matière même, couches archéologiques ramenées à un plan unique, fragments de squelettes rendus visibles comme sur une radiographie.
Plus on les regarde et plus ces «ersatz de peintures» nous apparaissent lointains, distants. Les visages sur les portraits d’acteurs s’estompent tels de vieux tissus décolorés. Certains sont défigurés par des bandes de peinture blanche appliquées lourdement à la brosse, d’autres gardent la marque du scotch qui en a altéré initialement la couche picturale.
Matt Saunders procède par soustraction, crée des lacunes, donne l’impression de l’usage et du temps, s’offre la patine des toiles de maîtres. De la même façon, le rythme répétitif de ses films soumet le sujet à un processus d’effacement. Ce dernier finit par ne survivre, comme dans Volker, qu’à l’état de spectre.
Å’uvres
— Matt Saunders, Mirror Lamp, 2011. HD vidéo, silent. 14’14’’
— Matt Saunders, Passageworks, 2010. Installation, 3 channel vidéo. Dimensions variables
— Matt Saunders, Kati, 2011. Silver gelatin print on fiber-based paper. 100 x 145 cm
— Matt Saunders, Panic, 2011. Silver gelatin print on fiber-based paper. 100 x 145 cm
— Matt Saunders, Shot # 1, Version 3, 2011. Silver gelatin print on fiber-based paper. 145 x 100 cm