Matiti Elobi (« bidonville bidonville », selon la traduction) est un chaos organisé. Un accident calculé qui se répète dans quasiment toutes les pièces du château. Et finalement un heureux renversement des rôles, lorsque l’austère architecture médiévale cède le pas à l’installation rêveuse et quelque peu hors-norme de l’artiste.
Pascale Marthine Tayou travaille justement cette notion de chaos. En utilisant des déchets domestiques d’abord (Masques balances… Balancer les masques, Plastic Bags ou Vestiges Epars), en mariant les obliques et juxtaposant les contraires également (solidité / fragilité ; durable / éphémère ; objets contondants / jeux d’enfants), ou plus loin, en instillant le désordre politique (les drapeaux africains jetés au sol de JPEGrafica). Il façonne à la hâte ses objets et installations, n’intervient que très peu sur leur transformation avant de les exposer au vide, en entretenant soigneusement la précarité de leur équilibre.
A deux doigts de la rupture en somme, comme avec Plastic Bags, lorsque l’artiste suspend une quantité infinie de sacs plastique colorés depuis la charpente du donjon jusqu’au plancher. Au résultat, une immense langue à l’instabilité accrue par le souffle s’engouffrant dans la salle qui vient littéralement « lécher » par intermittence les parois en pierre. Plastic Bags est une verrue dans un écrin doré, une contamination du réel dans la belle ordonnance historique : Tayou s’amuse de ces décalages comme il s’amuse de la beauté.
Ailleurs, il en prolonge même l’expérience. Avec les Poupées Pascales, il visite la préciosité en l’attirant par le bas, dans les tréfonds, au seuil du morbide et de la mise en scène rituelle. Chacune de ses Poupées réalisée en cristal est affublée d’un accoutrement compliqué, entre déchets (toujours), plumes, bracelets, ficelles, cuillères, autant d’objets colorés qui en révèlent le clinquant ostentatoire et la fétichisation surfaite.
Chez Pascale Marthine Tayou, la beauté croise toujours des forces plus obscures. La vanité peccamineuse, comme dans les tableaux baroques implicitement sexuels de la série Fornica; la guerre dans les trois Cercles qui contamine les deux autres spectres de la paix et de la vie ; la désorganisation du monde, comme dans le monticule des drapeaux africains froissés de JPEGrafica, véritable manifeste pour un continent en péril.
Une beauté née des ornières donc. Ce que Matiti, la maquette d’une ville africaine réalisée en bâtons de craie et mousse expansée, semble réaffirmer.
Le travail de Pascale Marthine Tayou ne connaît pas de frontières. Il pioche dans les rites, les symboles, les objets du réel. Il martèle la beauté pour en sortir la substantifique moelle quitte à transgresser et sacrifier le « bon goût ». Une pulsion anxiogène qui s’offre à l’écrin du château de Blandy sans pour autant s’y soustraire. Au contraire. Si l’exposition vaut le détour, c’est surtout parce qu’entre des murs très sages à la restauration bavarde et une œuvre qu’on ne peut enfermer dans aucun stéréotype, le mariage est impossible. Donc excitant.
Pascale Marthine Tayou
— JPEGrafica / Africagift, 2006. Drapeaux africains en papier. Dimensions variables.
— Mic-à -dos « starje », 2008. Bois peint. Dimensions variables.
— Plastic Bags, 2008. Sacs en plastique, tissus, filets. Dimensions variables.