Giorgio Di Noto, Tiane Doan na Champassak, Eduardo Serafim
Matière visible
Le développement majeur des technologies de surveillance et leur élargissement à la sphère privée s’accompagnent d’une diffusion instantanée et continue sur internet. A cela s’ajoute une prolifération, depuis une dizaine d’années, de sites de recherche ou de partage d’images et de vidéos. Cette mise en commun d’images permet à l’artiste une nouvelle accessibilité aux ressources visuelles. Cet état de fait provoque une nouvelle manière de faire et de voir la photographie contemporaine, de penser le rapport entre image et présence, et de remettre en question les liens entre photographie et pouvoir.
L’intérêt est de confronter ici des visions qui traduisent des tendances parfois opposées mais qui explorent des thèmes communs : d’un côté la surveillance extrême, la transparence de la réalité contemporaine face à l’œil du pouvoir — vision du haut -, de l’autre la totale accessibilité à la production et mise en circulation des images et le développement d’un autre regard — vision du bas. La vision orwélienne de Big Brother se fond aujourd’hui dans une version hypertechnologique du panoptisme où d’un côté le pouvoir est lié au contrôle de l’espace public et privé mais surtout à la visibilité et au contrôle des images et de l’autre se confronte à une hyperdémocratisation avec la possibilité de documenter et de partager les images. La période est remarquable car chacun peut enregistrer et rendre visible largement son histoire.
Les trois séries présentées dans cette exposition s’inscrivent dans cette logique d’appropriationnisme digital permise par une hyper-accessibilité aux images de l’autre. Giorgio Di Noto, Tiane Doan na Champassak et Eduardo Serafim mettent ainsi à profit les richesses que leur offre internet. Ils font le choix de recycler l’existant en s’appropriant ce qui apparaît sur leur écran et en le transformant. Ils s’inscrivent ainsi dans des logiques qui sont à l’œuvre depuis bientôt cent ans dans le champ de l’art: désacralisation du faire artistique au profit d’une célébration du choix de l’artiste.
Les deux séries «Looters» (Tiane Doan na Champassak) et «I Wish You Where Here» (Eduardo Serafim) ont pour point de départ des images issues de caméras de télésurveillance, publiques pour la première et privées pour la seconde. L’instrument du contrôle est ici détourné et offre un point de vue nouveau pour observer et mettre en discussion la réalité du contrôle, repenser et problématiser le sens de la vision.
Giorgio Di Noto travaille à partir d’images produites par les protagonistes mêmes des printemps arabes pour créer, sans aucun contact avec les lieux ni les acteurs des événements, un récit imaginaire des révoltes arabes. Il s’agit en fait d’un essai visuel sur la photographie, les clichés photographiques, le photo-journalisme, la propriété des images. Giorgio Di Noto ne prétend pas révolutionner le photo-journalisme, mais du moins il interroge sa pratique. Avec «The Arab Revolt», il prend acte du développement du numérique et des pratiques amateures qui en découlent.