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Math-Rock

Foisonnante compilation que ce Math-Rock. En 88 pages, Danny Steve retrouve le chaînon manquant entre Dirty Harry (le Clint Eastwood d’Inspecteur Harry), Donald Judd (l’un des pères de l’art minimal) et Chapi-Chapo (le duo jumeau de la télé pour enfants). Un improbable panthéon qui, plutôt que d’enfanter un hybride bancal, déploie ses membres dans l’univers de la musique contemporaine. Si tant est qu’on veuille bien se laisser prendre au jeu.

C’est Danny Steve elle-même qui nous guide vers cet ambitieux paradigme. Comment créer le point de rencontre entre le son et l’image? Comment l’image peut-elle générer du son? Ou plus prosaïquement, que viennent faire Harry Callahan, Don Judd et Chapi-Chapo dans cette histoire? Les dessins ne nous disent rien de tout cela, c’est la traduction de l’auteure, en appendice de l’album, qui donne les clés d’une possible interprétation. Et la formule de cette étrange alchimie.

En attendant, les planches dessinées montrent deux personnages, armés d’un sabre pour l’un, et d’un couteau pour l’autre. Pirate contre pirate, deux figurines figées dans une posture de combat et lâchées, page après page dans une course-poursuite à la peine.
L’intérêt de l’histoire? Aucun. Ou presque. Derrière cette encombrante mise en pli de série B, Danny Steve déroule un fil qui l’amène en réalité à regarder l’image comme on écouterait une harmonie. Avec ses pleins et ses déliés, ses montées, ses contre-temps et ses Piano. Plus l’image est riche, plus l’intensité de la partition musicale se fait ressentir. Inversement, dans l’obscurité de la page, se nouent des silences et des longueurs atones qu’on imagine vertigineuses.

Cette double lecture a du charme et une véritable constance. Chaque planche constitue les phases d’un mouvement que Danny Steve nous fait découvrir après-coup, dans ce fameux appendice. Ce qui donne lieu à d’amusants aller retour entre ce que l’on a vu et ce que l’on revoit autrement, argument «sonore» à l’appui. Planche confère partition, si l’on peut dire. La partition qui ferait note de bas de page et ouvrirait à un foliotage totalement inédit.

Une fois la grammaire musicale accrochée aux basques de cette histoire policière, la suite semble baigner dans l’évidence. Le nombre de pages, 88 comme autant de touches d’un clavier classique; la couleur des planches, un noir et blanc fatalement de rigueur; l’angle des dessins, des plans aériens sonnant comme des notes fuyantes et des plans resserrés occupés par une architecture omniprésente, pour mimer des saccades agressives.

L’architecture, d’ailleurs. Plus qu’un décor, elle gagne les esprits et s’affranchit de tout contact avec la réalité d’une scène de genre. Dirty Harry flinguait en zone urbaine, le Math-Rock de Danny Steve s’appuie sur une structure minimaliste, oscillant entre le jeu de construction pour enfants et le mythique parallélépipède de Donald Judd. Une abstraction maîtrisée pour mieux situer l’histoire et mieux supporter les envolées rock que laissent présager la typographie sinueuse qui arpente certaines pages (l’ultime intrusion de Harry): l’architecture chez Danny Steve est de la véritable matière tautologique, le lieu où dialoguent dessins et musiques.

Passer à côté de cette douce folie est cependant possible. Il serait pourtant dommage de ne pas jouer avec ce petit livre et de ne pas en attendre encore plus de l’auteure. Plus tortueux, plus transgressif, et encore plus rhizomatique.

— Danny Steve, Math-Rock, 2011. Editions Les Requins Marteaux.

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