Marine Drouin. Je voudrais que l’on évoque ensemble l’actualité sympathique de vos ateliers pour enfants. Il est possible de visiter les installations de votre exposition-atelier à Chaillot, mais en quoi a consisté votre participation aux « Impromptus » du Centre Pompidou ?
Matali Crasset. Il y avait deux temps : le premier avec les enfants, et un mois après avec de jeunes adultes européens venant de six pays différents. L’idée était d’imaginer la maison en 2050. J’ai créé des systèmes de modules (le projet s’appelait « Modulhome »), pour les faire réfléchir à la façon dont on allait y vivre. Plutôt que des formalisations esthétiques bien précises, ce sont des scenarii de vie qui m’intéressaient : leur livrer des « formes prétextes » dans lesquelles on va imaginer loger des fonctions comme se laver, communiquer, etc.
Le principe de vos ateliers est fondé sur le dialogue. Est-il plus important pour vous de formuler avec les enfants des récits, des hypothèses de vie, plutôt que d’accoucher d’un objet finalisé ?
Matali Crasset. En effet, dans les « Impromptus », les enfants communiquaient avec leurs parents. Quant aux jeunes adultes, ils ont fait un premier exercice tous seuls, et la seconde étape devait les faire travailler ensemble au Centre Pompidou. Il était intéressant de voir qu’ils ont à peu près la même vision que les enfants, mais aussi de comparer le processus de travail individuel et collectif. De la phase préparatoire à la maison, les participants avaient en charge de réaliser une petite recherche sur cette idée de futur et on s’est aperçu que ce qui avait été fait au Centre était beaucoup plus optimiste. Le travail en commun avait débouché sur des notions moins individualistes.
Mais les bases que vous leur donnez à travailler, quoique minimalistes, me semblent tout de même assez formelles…
Matali Crasset. Oui, il y a une forme un peu enveloppante, l’autre qui a l’air d’un cône, une troisième comme un plateau, etc. L’idée était de donner des vocabulaires, des langages qu’ils puissent mélanger, et qui fassent qu’ils évacuent dans un premier temps la notion de style. C’est une méthodologie pour faire en sorte qu’ils se mettent tout de suite à l’action. Pour les enfants, c’est la même chose : face à un dispositif, il faut qu’ils aient quelque chose de concret à faire. La première est de découper (ils savent faire, ça les rassure), et la deuxième de donner forme, ce qui leur permet d’être à l’aise pour imaginer.
Dans l’atelier « Permis de construire » à Chaillot, les couleurs et les formes des cabanes à aménager participent d’une esthétique futuriste, un peu high-tech : cet aspect pousse-t-il les enfants à imaginer quelque chose de lointain dans l’avenir, ou est-ce que les changements qu’ils opèrent dans leur cellule d’habitation leur paraissent réalisables au quotidien ?
Matali Crasset. Les enfants n’ont pas tellement ces notions de futur proche ou lointain. Pour la Cité de l’architecture, l’idée n’était pas tant de voir le futur, mais de montrer qu’il y a différents types de construction, et que chacun amène son propre langage et sa façon de gérer le quotidien, la vie qui va à l’intérieur. J’ai donc créé des « dispositifs-schémas » à leur échelle, plutôt que de leur donner des jeux en forme de petits systèmes constructifs.
Le premier est le « Permis de construire », un meuble que j’ai constitué et que je leur donne, ouvert, pour qu’ils se l’approprient et le continuent. Ce sont comme des briques que l’on va superposer pour construire.Â
Ensuite, il y a la « Maison frange », qui va les faire travailler sur la perméabilité entre l’intérieur et l’extérieur, donner des « zoning » afin de réfléchir à la manière de faire cohabiter les différentes fonctions à l’intérieur de la maison : ils ont la possibilité de les séparer, ou pas, avec un petit jeu de cintres qui les symbolisent. Au centre, c’est la maison imaginaire des contes de fées. Pour moi, c’est un feu, mais les enfants vont y voir autre chose : les garçons une fusée, les filles un château de princesse. Ils sont invités à aller à l’intérieur et à imaginer qui y vit. Puis il y a un système de construction à grande échelle et qui n’a pas de forme prédéterminée par rapport à la réalité. Je l’ai appelé « Furtif » parce que c’est un jeu mou avec lequel les enfants font souvent des structures proches du corps, pas du tout agressives par rapport à lui, des coquilles souples qui enveloppent et qui sont portables.
Enfin, la « Cabane végétale » est simplement faite de structures en pots et de branches qui en continuent le système. Les enfants y agissent comme s’ils construisaient une cabane dans la forêt, à l’aide de textiles, pour fermer les espaces.
Ces tissus ont des motifs correspondant à des revêtements intérieurs et extérieurs. Est-ce que les enfants fonctionnent dans une sorte de mimétisme pour les placer ? Agissent-ils en appliquant à tout prix les bons motifs ?
Matali Crasset. Tout dépend de leur âge : quand ils sont petits, ils vont les utiliser indifféremment, et quand ils sont plus grands, ils commencent à réfléchir sur l’intérieur, l’extérieur et leur esthétique respective. Plus petits, c’est plutôt l’idée de la protection qui les intéresse.
A l’intérieur de la cellule d’habitation, les enfants ont-ils tendance à séparer, cloisonner et protéger, ou plutôt à ouvrir, produire des passages ?
Matali Crasset. La « Cabane végétale » est disposée de telle sorte que plusieurs sous-ensembles puissent être faits, donc ce travail est plutôt fait dans la « Maison frange ». Là c’est l’idée de gérer un contour qui est régulier, parce qu’on va d’arbre en arbre, on pose sa branche, etc. Elle ne joue pas sur les espaces intérieurs.
La disposition des maisons autour d’un centre a déjà quelque chose d’une urbanité : comment se joue cette notion de commun dans le déroulement de l’atelier ?
Matali Crasset. Il n’y a pas de lien entre chacun des jeux, ils passent de l’un à l’autre, certains étant dédiés aux plus petits, et d’autres aux plus grands.
Je me demandais aussi s’il y avait un travail de formulation des projets. Peut-être cela peut-il nous amener à parler des « Petites échappées » du Cent quatre, qui sont fondées sur des récits ?
Matali Crasset. Pour l’instant, il n’y a eu que l’échappée de préfiguration : on a choisi, avec un groupe de plus grands, les différents espaces où vont se dérouler les échappées. Le bâtiment étant terminé, l’idée était de réinjecter des petites vies particulières, avec des animaux, ou des éléments comme l’eau, comme si d’un seul coup la nature se réappropriait le lieu.
On est allés visiter les lieux en groupe, avec un petit plan : les grands étaient chargés d’imaginer pour les petits dans quel coin il pourrait y avoir telle histoire, en leur donnant des impulsions. Je vais mettre en place un dispositif de papier un peu rigide pour faire un corps : en général, il s’agit d’un petit animal qui va faire un nid, comme cet oiseau qui est un « Piou-piou constructeur ». Et ils vont personnaliser cette base avec des vinyls, pour en finir le pelage par exemple. A chaque fois, il y aura un conte et ce petit kit.
La première phase consiste à passer de la 2D à la 3D, pour former des corps, et ensuite les personnifier pour jouer avec dans le lieu, puisqu’ils viennent s’insérer dans un contexte particulier. La première échappée, c’est l’histoire de ce petit papa qui attend un heureux événement, et qui prépare le nid. J’ai dessiné un oiseau avec une configuration un peu particulière pour qu’il puisse porter des petites brindilles. Les enfants vont constituer ensemble un nid collectif pour préparer l’arrivée d’un enfant. Le lieu a été choisi à l’endroit de la passerelle du Cent quatre : on va donc tendre un petit fil le long de cette grande pente pour essayer de les y faire glisser.
Je me suis intéressée au projet de la « Maison des petits » : elle est très construite, permanente et fixe. Quel en a été le cahier des charges de la part du Cent quatre ?
Matali Crasset. C’est un peu le fonctionnement d’une « Maison Verte » de Françoise Dolto. Le plus important est de comprendre que c’est une maison de quartier qui est ouverte à ses habitants. Les enfants viennent avec les parents, mais ce n’est pas une crèche : on ne dépose pas son enfant, il n’y a pas d’animation. C’est un peu comme les « Impromptus » à Beaubourg, l’idée étant de partager ce moment de rencontre à travers un travail artistique, mais pas simplement : il y a une écoute, de la part de personnes aux profils assez différents, comme des gens qui s’intéressent à des questions médicales, et en même temps une sensibilisation artistique avec des outils Montessori, pour un travail avec l’eau par exemple, et toutes sortes de petits dispositifs.
J’ai proposé de constituer différentes zones en fonction des âges. Entre autres, il y a le « nombril », ce lieu où l’on va pouvoir poser son bébé et jouer avec lui, au centre. Il est rare de trouver des structures qui accueillent les tout-petits.
Le concept général, au sein de ce lieu industriel, un peu froid et hors échelle des enfants, est d’y fabriquer une double peau, une espèce de carapace qui vient créer la distance. Elle a la particularité d’être partagée en trois morceaux : en bas, une zone accessible aux enfants qui peut se transformer en dossier de chaise ou en petites étagères pour poser tous les jouets, puis une partie pour le rangement, avec des portes, et une troisième faite de panneaux acoustiques. Ainsi, la peau se recroqueville sur elle-même.
Ensuite, autour d’un noyau central un peu technique, on a dispersé des petits « champignons » qui donnent encore la possibilité d’abris, une notion de protection : dans ces pièces seront proposées un certain nombre d’activités qui peuvent être changées au quotidien. Il y a enfin une zone pour les plus grands, qui sont relativement autonomes, et pour qui j’ai reconstitué une petite maison perchée. Tout est un peu interconnecté.
On a l’impression du concentré d’un lieu de vie, avec du stockage, de l’activité : des ateliers y sont-ils prévus avec les artistes résidents ?
Matali Crasset. Les artistes résidents ont pour obligation d’interagir avec la « Maison des petits ». Ils vont le faire d’une façon que l’on ne saurait prévoir à l’avance. Pour l’instant, on a prévu une plateforme pour eux, et un garde-corps en haut : un prétexte pour pouvoir suspendre des choses et arriver à occuper une grande partie de l’espace, mais chacun à leur manière, ce qui en reste l’intérêt majeur.
En lien avec l’interview
— Cité de l’architecture et du patrimoine, Matali Crasset, « Permis de construire », 16 oct. 2008-09 mars 2009
— Cent quatre, Matali Crasset, « La Maison des petits », printemps 2009
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