PHOTO | CRITIQUE

Massacres

PNicolas Villodre
@04 Fév 2009

En attendant la prestation-performance de Katia Feltrin et Vanessa Le Mat au Musée de la chasse et de la nature, on a vu au début février 2009, la version photographique et filmique de la pièce Massacres (My Deer), dont l’ébauche avait été présentée en septembre au Centre national de la danse

De même que la chorégraphie a suffisamment de cohérence pour se suffire à elle-même, le film est un objet artistique en soi qui peut être montré dans des galeries d’art comme Dix9, des musées, des festivals de cinéma ou de vidéo-danse. La bande-son, à peine esquissée cet automne, est maintenant au point. Elle culmine naturellement avec le pom-pom-pom-pom non pas de Beethoven mais d’Ennio Morricone (le fameux la-ré-la-ré-la qui illustrait et rendait illustre le film de Sergio Leone, Il buono, il brutto, il cattivo) dans le coda bestial du duel.

Le surfil de la pièce n’est plus apparent. Le côté analytique, pointillé, décousu de l’état dans lequel on l’avait vue il y a quelques mois est ici lissé par la magie du montage. Les ellipses sont soulignées. Les transitions sont « cut » ou bien tout simplement amenées par des fondus-enchaînés. La garde-robe dont la production a fait l’emplette semble avoir été fixée et réduite à des sous-vêtements féminins de couleur claire (couleur chair). Les deux danseuses sont d’emblée emperruquées.

L’aspect énigmatique de la pièce est renforcé par le fait qu’on ne voit pas vraiment le visage des danseuses qui se présentent du reste longtemps dos au public. Les moumoutes leur assurent un anonymat du type gang des postiches et les rendent jumelles, intemporelles et un tantinet sauvages.

On a changé de lieu, on a quitté la scène climatisée bordant le canal pantinois et on se retrouve dans le cadre verdoyant d’une clairière. Au début, des amorces de corps. Le corps par fragments, de part et d’autre de l’écran. Un genou, un coude, une jambe, une tête… Les danseuses jouent à cache-cache, jouent avec le hors-champ — celui de la caméra, s’entend. Puis, toujours de dos, elles explorent la profondeur de leur territoire, l’une tout près de la caméra, l’autre au fin fond du cadre. On a droit à une série d’agencements plastiques des deux corps féminins, avec une recherche ornementale dénotant un souci de baroque.

Un pas de deux, si l’on veut. Le thème du double, du trouble, du duo, de la duplication ou de la duplicité. Jusque-là, les mouvements, minimaux, sont décalés, jamais à l’unisson. Vient une phase miroitante où les jeunes femmes sont côte à côte, au centre de l’image.

La séquence du duel est amenée par un collage visuel ou virtuel de type surréaliste : les jambes de l’une, au-dessus de la tête de l’autre, figurant ou symbolisant les « bois » d’un cervidé. Entre parenthèses : les rennes sont les seuls animaux de cette famille dont les femelles, comme les mâles, ont des bois, en période de rut. Les ramures se changent en revolvers.

Le brame automnal de l’accouplement des ongulés finit par être recouvert par celui des trompes de chasse. On aime le son du corps le soir au fond des bois.

— Vidéo et chorégraphie : Vanessa Le Mat et Katia Feltrin

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