L’œuvre de Marthe Wéry, dont l’élaboration a pris fin en 2005 avec le décès de l’artiste, suit une trajectoire qui conduit de l’abstraction, c’est-à -dire d’un travail essentiellement sur la forme, à un travail sur la couleur et la matière, autrement dit à un approfondissement de la peinture.
C’est une œuvre dont l’histoire prend sa source au même point que l’avant-garde abstraite, le hard edge en particulier, avec cette conscience aiguë de la surface comme réalité de départ, fait premier et inévitable de tout travail. Il en résulte, dans les années 1970, ces feuilles de papier sur lesquelles des lignes parallèles de feutre noir sont méticuleusement tirées.
C’est par ces «dessins lignés» que s’ouvre l’exposition. L’accrochage en série rend apparente la répétitivité du travail, cette nécessité non assouvie de mesurer la surface à couvrir, cette fatalité qu’il y a à reconnaître à chaque fois les limites de la feuille, l’impossibilité d’aller au-delà et donc l’obligation de recommencer.
Cependant, le choix du papier, dont la texture est perceptible, accorde aux dessins une beauté matérielle qui fait de ces derniers de véritables ouvrages de tapisserie. La relation qui existe entre les lignes et les feuilles est l’équivalent de celle qui unit les feuilles et le mur. La feuille n’est pas plaquée au mur (elle n’est pas non plus encadrée ni placée sous verre), elle est posée sur lui. Le mur n’est donc pas seulement le support de l’accrochage: il reçoit la feuille. La surface de contact entre eux deux a une vie propre.
La portée décorative de ce travail doit être soulignée, si l’on entend par ce qualificatif la capacité d’une œuvre d’animer un lieu, en rendant sensible sa réalité matérielle et ses dimensions.
Sans doute ce rapport vivant de superpositions entre le mur, la feuille et les traits n’est-il pas étranger à la mutation que connaît le travail de l’artiste à partir du début des années 1980, lorsqu’elle renoue avec la peinture, et cette fois, moins pour en expérimenter la surface que pour en découvrir les profondeurs.
Chaque peinture est une plongée dans la couleur et ses remous. De fait les œuvres ont été réalisées par la lente superposition de couches. Textures et nuances s’y expriment en coulées et en courants qui suggèrent un en deçà de la surface. La limitation imposée par la taille réelle du tableau est déjouée par l’infinité de la profondeur. Cet infini n’est pas l’aspiration à un au-delà ni l’indétermination des projections que nous serions conduits à faire sur ces œuvres ouvertes; il est plutôt l’impossibilité, pour l’artiste, d’étancher une soif qui est à la fois de fusion et de mise à distance, qui est, dans la couleur, de retrouvailles avec soi-même, et, par la couleur, d’expression de soi-même.
Cette double postulation est discernable dans la facture même des peintures, qui invite à l’osmose tout en rejetant le spectateur, par ses reflets et ses effets de surface, dans le monde des apparences.
En mêlant dessins et peintures dans un parcours qui n’est pas chronologique mais dicté par les qualités sensibles des œuvres, l’exposition prouve le caractère inépuisable du médium pictural.
Cette exposition participe au programme « Rendez-vous dans les galeries », une initiative de «Francofffonies ! le festival francophone en France».
Traducciòn española : Maïté Diaz
English translation : Margot Ross
Marthe Wéry
— Sans titre, 1998. Acrylique sur bois. 59 x 51 cm.
— Sans titre, 1975. Encre et mine de plomb sur papier. 110 x 75 cm.
— Sans titre, 2002. Acrylique sur aluminium. 150 x 130 cm.
— Peinture Venise 82, 1982. Acrylique sur toile. Installation à dimensions variables.