« Il était une fois… ». Toutes les toiles de Marlène Mocquet pourraient commencer comme ceci. Toutes ses toiles sont des incipit, des débuts de narration où les personnages sont posés. L’histoire n’a plus qu’à se dérouler. Les personnages, ce sont ces empâtements d’huile qui surgissent de la toile, ce sont ces taches colorées qui naissent du hasard et se transforment en monstres bigarrés, en animaux polymorphes et inquiétants. Et tout ce monde vit harmonieusement dans ces univers éthérés et lunaires, sur une même toile tout juste apprêtée, tous collés au sol comme dans les dessins d’enfants, sortant des nuages ou en hors champ, à la lisière de la toile.
Dans les trois espaces de la galerie Edouard Manet, les vingt toiles présentées passent de formats minuscules à grande échelle, chaque petite apportant une respiration aux quatre grandes. Marlène Mocquet saute du gigantisme à l’orfèvrerie.
 Il y a dans ces petites scènes sans narration autant de l’art de la miniature que de l’art des grotesques, autant de contes de l’enfance que de questionnements existentialistes, autant des fous de Jérôme Bosch que de la candeur d’Alice au pays des merveilles.
Dans chaque toile, un personnage trône, humain si l’on peut dire, plus grand que tous les autres, entouré d’une myriade d’animaux et personnages en tous genres qui fourmillent, tombant du ciel, ou accrochés au sol.
Et Marlène Mocquet fait également le grand écart entre les techniques. Convoquant tout à la fois Richter pour ses techniques mixtes de grattage, de frottage, de glacis, ou Fautrier dans l’utilisation de la matière épaisse et dense, dans ses transparences chromatiques et ses formes indéterminées.
Cette recherche de techniques variées, cette alliance de la représentation figurative et du procédé automatique, rappellent aussi le travail des surréalistes, en particulier celui de Max Ernst, avec l’huile sur toile intitulé La Forêt (1927). Ici, tout a commencé par une tache, ensuite devenue tête de monstre ou de fillette.
Marlène Mocquet jongle avec les ancêtres de la peinture, sans jamais imiter, sans complaisance pour ce qui pourrait être juste de l’effet. Les personnages ne sont pas pure illustration, les paillettes ne sont pas simple décoration, les imprécisions ne trahissent pas un manque de dextérité.
«Les toiles abstraites mettent en évidence une méthode : ne pas avoir de sujet, ne pas calculer, mais développer, faire naître» (Gerhard Richter).
En passant de l’aléatoire à la maîtrise, Marlène Mocquet crée un monde entre chien et loup, où les personnages inquiètent et fascinent à la fois. À la simplicité des scènes s’opposent la peur, la mort et la morale philosophique de tout conte. Et c’est dans cette fragilité, dans cette émotion ténue, que cet ensemble trouve sa singularité au milieu d’un art du siècle plus conceptuel.
Poésie et romantisme, l’art du XXe siècle a quelque peu évacué ces notions que Marlène Mocquet ressuscite. Dans La petite fille aux escargots, les gastéropodes tombent du ciel, se transforment en lézards ou en oiseaux jusqu’au moment où la matière s’approprie le réel. Où les taches d’huile auréolent ces animaux étranges qui semblent se décoller de la toile, pour surgir et faire leur apparition dans cette narration imaginaire. Un imaginaire proche du symbolisme d’Odilon Redon, dans cette représentation de l’ésotérisme de l’âme humaine, empreint des mécanismes du rêve.
Tous ces symboles, tous ces détails, se fondent jusque dans les aplats de couleurs. Ici surgissent des yeux, là un bras. Et cette femme, seule à nous tourner le dos dans La Magicienne au pain d’épice, nu académique s’il en est, comme pour rappeler que la forme n’a pas encore pris le pas sur le fond, que la maîtrise reste et que l’aléatoire est un jeu, que le détail convoque toujours le spectateur à une inspection minutieuse et bien évidemment au symbolisme.
Si Daniel Arasse a pu se délecter de l’escargot dans l’Annonciation de Francesco del Cosa, il aurait eu de quoi répondre au psychanalyste qui lui fait front dans le livre On y voit rien.
Ici, les détails fourmillent sans jamais s’asphyxier, et l’escargot vient encore une fois rappeler que le sujet n’est pas ce qui s’impose. Avec tout ce symbolisme, la psychanalyse aurait eut bien sûr son mot à dire. Mais, il n’est pas certain que nous souhaitions connaître toutes les clés des contes…
Marlène Mocquet
— Le nounours geyser, 2008. Techniques mixtes sur toile. 16 x 22 cm
— La magicienne au pain d’épice, 2007. Techniques mixtes sur toile. 130 x 195 cm
— Le nid déplacé, 2008. Techniques mixtes sur toile. 22 x 27 cm
— Le plateau d’allumettes, 2007. Techniques mixtes sur toile. 13 x 18 cm
— Le fantôme du bois, 2008. Techniques mixtes sur toile. 20 x 20 cm
— Hand Ball, 2007. Techniques mixtes sur toile. 30 x 30 cm
— Les cendres de la peinture, 2007. Techniques mixtes sur toile. 19 x 24 cm
— L’arbre constellé, 2008. Techniques mixtes sur toile. 27 x 20 cm
— La petite fille aux escargots, 2007. Techniques mixtes sur toile. 195 x 130 cm
— L’homme métallique, 2007. Techniques mixtes sur toile. 24 x 19 cm
— Rêve entre deux profils nocturnes, 2008. Techniques mixtes sur toile. 24 x 25 cm
— Les couples d’enfants aux lézards, 2007. Techniques mixtes sur toile. 20 x 27 cm
— Attaquée par la peinture, 2008. Techniques mixtes sur toile. 33 x 24 cm
— Les tâches qui me ressemblent, 2007. Techniques mixtes sur toile. 46 x 55 cm
— Les deux falaises humaines, 2008. Techniques mixtes sur toile. 24 x 14 cm
— Le lapin dans l’impasse, 2008. Techniques mixtes sur toile. 24 x 35 cm
— Les soleils qui tombent, 2007. Techniques mixtes sur toile. 46 x 55 cm
— Le Pays rouge du crépi, 2008. Techniques mixtes sur toile. 27 x 20 cm
— Sauvé d’une échelle humaine, 2007. Techniques mixtes sur toile. 33 x 24 cm
— La petite fille au pipeau, 2007. Techniques mixtes sur toile. 97 x 130 cm
— La Fondation du podium aux allumettes, 2007. Techniques mixtes sur toile. 130 x 190 cm
— La petite fille qui dégouline, 2008. Techniques mixtes sur toile. 27 x 22 cm
— Les deux pommes humaines, 2008. Techniques mixtes sur toile. 25 x 25 cm
— La pirouette à l’oeuf, 2008. Techniques mixtes sur toile. 33 x 41 cm
— La peinture sable mouvant, 2008. Techniques mixtes sur toile, 24 x 33 cm
— La peinture violette qui fait la queue, 2008. Techniques mixtes sur toile, 113,5 x 146 cm
— L’ombre du cerf-volant, 2007. Techniques mixtes sur toile. 16 x 22 cm
— Les faons, 2008. Techniques mixtes sur toile. 200 x 200 cm
— Falaise à la danseuse, 2007. Techniques mixtes sur toile. 16 x 22 cm
— Paysage rouge au chien bleu, 2007. Techniques mixtes sur toile. 55 x 66 cm
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