Markus Lüpertz, Classique hors norme
En quelques années, avec les Dithyrambes, sa peinture avait pris un ascendant décisif sur le débat entre abstraction et figuration. Elle s’était imposée avec éclat sans renier la vitalité de l’informel et l’exigence de réalisme particulièrement sensible dans la culture allemande après-guerre. Ses motifs, en particulier les bien nommés Motifs allemands, cumulaient à la fois une intuition formelle de fond et une dimension de mémoire que prolongeaient des écrits revendiquant, contre le point de vue de l’analyse sociale et des sciences humaines, l’héritage poétique du dithyrambe nietzschéen. Avec une ampleur décisive dont témoignent certains grands formats, la peinture affirmait des capacités expressives grandies par un concept intégré à la forme, inhérent à sa structure répétitive et par là même touchant à un élément surréel s’adressant à l’imaginaire le plus dégagé de toute référence stylistique ou culturelle.
Mais l’histoire de Markus Lüpertz ne prendra sa dimension pleine et entière que sur la durée, une durée historique qui est celle de la génération qui a permis une nouvelle Allemagne des arts — son âge dʼor —, mais aussi celle plus turbulente et «caméléonesque» qui lʼa conduit à découvrir, par ses oeuvres, par la réflexion esthétique, par une poétique de la création, le sens nouveau d’une tradition qu’il a d’abord voulu surmonter et dominer. L’actualité de son art donne une évidence singulière à la rencontre entre telle version des Baumstammen de 1966 et tels bozzetti de 2009 liés à la réalisation d’un Hercule monumental installé en 2010 sur un ancien site minier à Gelsenkirchen dans la Ruhr.
Pour l’artiste, ce qui est en jeu dans une dépense d’énergie aussi intense concerne une idée de l’art qui ne se confond pas avec une évolution tant elle se confronte de manière insistante au besoin existentiel d’un nouveau début, d’une aspiration à plus de lumière, de légèreté et de grandeur. Pour la société, Lüpertz a mis en avant une apparence de bohème aristocratique au discours provocant qui l’a tout à la fois révélé et masqué. En particulier la notion de génie qui pour lui supplée aux handicaps du talent. Génie est le mot par lequel l’artiste veut signifier l’histoire de ce début toujours repris qui permet la compréhension de l’art depuis les Grecs.
Après le motif central du Rückenakt, Lüpertz sʼest intéressé récemment au paysage, à une peinture de petit format, comme à des artistes mal aimés du modernisme, Puvis de Chavannes ou Hans von Marées qui ont cherché leur Arcadie dans un vocabulaire poussé jusquʼà lʼabsolu. Après Picasso, il identifie lʼart dans une langue perdue, dans un répertoire de formes fragmentaires dont le sens ne correspond quʼà un idéal sans mesure avec les problèmes de son temps. Il veut faire entendre la dissonance de celui qui, en sʼadressant aux créatures de lʼart, les dieux, leur mythologie, aspire à cette liberté particulière quʼil ne peut définir que par le mot magique dʼatmosphère. Une force dʼexpansion qui est dans la peinture ou qui nʼy est pas, recherchée par lui depuis près de cinquante ans sans compromis avec lʼesprit du temps. Quelque chose dʼobjectif et abstrait qui change tout en éternité.