Sur un ruban de verre, qui se déploie dans toute l’ampleur de la galerie, de petites pièces sculptées sont disséminées irrégulièrement: dix-sept volumes compacts, de terre séchée, nue, argentée, dorée, ou blanche, dont les formes imprécises esquissent des têtes, parfois renversées, face vers le ciel, ou vers le visiteur qui surplombe l’installation. Le support de verre (en quoi consiste la participation de Mario Merz) est en effet composé d’une quinzaine de tablettes-modules, variablement incurvées, qui repose chacune sur une légère structure métallique assez basse. Leur juxtaposition bout à bout dessine les deux premières boucles d’une spirale oblongue. La force plastique de l’installation procède de cette tension, entre précision formelle, fini mécanique, transparence de la structure-support, et brutalité vivante, et délicate, des petites masses d’argile aux contours indéfinissables. Les têtes sont apparues dans l’œuvre de Marisa Merz au début des années quatre-vingt, mais désormais les traits en sont érodés, jusqu’à l’effacement, ou plutôt, comme non advenus, suspendus à l’état d’ébauche, à commencer par celui du bloc d’argile intact. Inachèvement qui leur confère un caractère embryonnaire, comme autant de tentatives avortées, indéfiniment reconduites, mais exemptes de tout pathos : l’imploration reste silencieuse, presque indifférente.
Au sous-sol, le dispositif s’inverse: la salle est vide, et c’est sur toute la hauteur des murs que sont disséminés vingt-quatre dessins sur papier. L’un d’eux évoque une possible origine: une forme ovoïde de graphite estompé penche et se cale sur les bords de la feuille. Sur un autre, la forme, trouée de deux noyaux vides, amorce un partage sur le modèle de la division cellulaire. Un processus vital est à l’œuvre. Derrière les estompes de graphite, quelques traits – un sourcil, l’arrête d’un nez, une lèvre -, ébauchent, évoquent, un visage, un regard, déjà ravalés par l’ombre, ou peut-être, là encore, non advenus. Tentatives de jaillissement et menaces d’absorption. Soit l’exact inverse de cette autre tension, qui vaut aussi pour les têtes d’argile, qui s’instaure entre la quiétude des formes rondes et pleines, et la suspension sèche du trait, précis et acéré, mais toujours lacunaire. De cette multitude de bipalorités tendues, et élémentaires — plein/vide, fini/inachevé, opacité/transparence, présence/indifférence, silence/murmure, etc. —, surgit une vertigineuse métaphore de l’insaisissabilité de l’être.
L’œuvre sans-titre, qu’aucun cartel, qu’aucune information n’éclaire, repose toute entière dans cette présence brute des objets, et leur agencement, qui s’effacera et se recomposera peut-être ailleurs, et autrement. Cette stratégie tenace de l’effacement, qui a conduit Marisa Merz à privilégier les expositions collectives pour s’y fondre dans un quasi anonymat, prend le risque, en préservant l’œuvre de toute interprétation biographique ou anecdotique, de la faire tenir debout toute seule, et c’est là le plus difficile, disait Deleuze. Lancée dans la spirale sans fin de la lutte de la vie et de la mort, elle bruit de toutes les tentatives d’être, sans cesse remises sur le métier ou sans cesse différées.
Une installation de sculptures d’argile sur une structure de verre et de métal, deux toiles, et vingt-quatre dessins au crayon sur papier. Aucun cartel, donc pas de titre.