Avec sa deuxième édition, le titre du festival passe des « Petites Formes cousues » au « Petites Formes (d)cousues ». Ce (d) est-il significatif d’une nouvelle orientation ?
Marina Tullio. Le terme « décousu » nous semblait davantage approprié à la programmation de cette année, plus décloisonnée que la précédente. Il y aura deux expositions de photos, des concerts, des propositions chorégraphiques qui intègrent la vidéo, la musique, le public… Même si on reste dans quelque chose de gestuel, il ne sera pas uniquement question de danse contemporaine.
Pourquoi des « petites formes » ?
Marina Tullio. Les « petites formes » font tout simplement référence à des formats courts : les pièces programmées pendant le festival ne durent pas plus de trente minutes. L’idée est de présenter les projets des résidents du Point Ephémère, qui ne sont pas forcément aboutis ou sous leur forme définitive. Les chorégraphes ont donc le choix de proposer un spectacle de moins de trente minutes ou un extrait d’une pièce plus longue.
Vous remplacez Eléonore Didier à la direction du festival, et Cécile Saint-Paul à la programmation danse du Point Ephémère. L’une est chorégraphe, l’autre metteur-en-scène… tandis que vous avez essentiellement un parcours de chargé de production et de diffusion. Vous êtes également, depuis huit ans, la directrice du festival parisien Les Plans d’avril. Qu’est-ce que vous souhaitez transmettre au lieu et au festival de votre identité, de votre univers ?
Marina Tullio. Cela fait plus de six ans que le Point Ephémère accueille une partie des spectacles du festival Les Plans d’Avril. Ils connaissent très bien mon univers, qui oscille entre la danse et le théâtre, et ils ont souhaité que je prenne le relai de Cécile Saint-Paul pour la sélection et l’accompagnement des résidents sur l’année, mais aussi à la direction artistique du festival. Je pense qu’ils avaient envie que je porte un regard nouveau sur la programmation, et que je transpose au Point Ephémère ce que j’avais encouragé dans le cadre des Plans d’avril, à savoir une certaine disciplinarité, une danse liée à la vidéo, au théâtre, des concerts très gestualisés… Cela fait longtemps que je fais ce métier, j’ai commencé en tant que chargée de production au Théâtre populaire de Lorraine. J’ai donc la chance de bien connaître les compagnies, les petites comme les plus grandes, et je me situe de tous les côtés de la production : aussi bien en amont que pendant et après !
Le festival a pour objectif premier de rendre visible le travail des résidents du Point Ephémère. Quels sont, en quelques mots, les projets présentés cette année ?
Marina Tullio. Les résidents ont été sélectionnés par Cécile Saint-Paul, avant mon arrivée — je m’occuperai pour ma part de la sélection pour la saison 2011-2012 — mais je me suis plongée dans leurs univers. Leurs esthétiques sont très différentes or ils se rejoignent sur un point : le regard qu’ils portent sur la ville et son architecture, ce qui donne une véritable unité à tous ces projets. Jean-Jacques Sanchez, par exemple, propose un trio, Monologue pour un danseur — la vie D’Hans et un atelier participatif ; il travaille sur la danse dans l’espace urbain. Clotilde Tiradritti traite du déplacement dans la ville au sein de l’espace scénique tandis qu’Agnès Butet, avec Hors circuit, s’intéresse aux accidents de la ville ; sa danse est emprunte de bousculades, de croisements, de dérapages… C’est une danse toujours un peu oblique, qui prend des risques. Du côté de la programmation jeune public, le Collectif Larsen et Eva Motreff présentent une pièce qui parle d’écologie et de la façon dont on rejette nos déchets à l’extérieur, dans ce Bois malmené qui fait office de titre. Il y a une vraie cohérence dans le choix des résidences cette année, ce qui donne une tonalité au festival.
Certains artistes, comme Romano Bottinelli et Stéphanie Auberville, viennent se rajouter aux résidents au sein de la programmation, sur votre initiative. Selon quels critères les avez-vous choisis ?
Marina Tullio. Je suis justement partie de cette thématique de la ville, pour les raccrocher à la programmation. Romano Bottinelli a été l’assistant de Philippe Jamet pour les Portraits dansés, il a l’habitude du dialogue avec l’autre. Il présente ici un documentaire sur la ville — la ville de Dieppe où il travaille depuis de nombreuses années, où il a filmé des gens dans des maternités ou des maisons de retraite, où il a dansé pour des femmes qui venaient d’accoucher. Il défend une danse de la vie. Stéphanie d’Auverville, à travers sa pièce Mécanique du oui, a lancé un appel à contribution au public. Elle leur a demandé d’écrire des phrases qui commencent par « j’accepte… » et qui portent sur les raisons qui nous font « accepter » les autres et la collectivité. Cela donne lieu à une littérature simple et poétique sur notre vision de la société. Pour le festival, elle a essentiellement travaillé avec une association du Xe arrondissement qu’elle connaît bien. C’était important pour moi de la faire participer aux Petites Formes (d)cousues car c’est une artiste qui utilise souvent la vidéo, qui fait des happenings, des improvisations avec une harpiste électro… Elle a été programmatrice danse au Point Ephémère, il y a trois ans, et aussi particulièrement présente dans le cadre des Plans d’avril. Je voulais créer un lien avec ce qu’il s’était passé avant, des ponts entre les lieux et les artistes.
Vous avez également accordé votre confiance à Isabelle Catalan et Aina Alegre, qui présentent respectivement Chaukemar et La Maja desnuda dice. Elles semblent avoir une identité propre…
Marina Tullio. Oui, Isabelle Catalan fait un duo avec un musicien, elle est dans quelque chose de plus sombre : une danseuse-poupée qui nous confie ses angoisses sur fond de musique électrique… Aina Alegre va travailler sur la symbolique baroque, là encore à partir d’une femme-figure. Ces deux propositions ne sont pas liées au thème de la ville, mais je voulais absolument les voir là , dans cette salle de concert. Mon idée de la danse est très large, j’ai envie de proposer des choses très différentes. Pour moi, chacun a sa place, je pense que la gestuelle est partout, que la danse est partout.
Vous n’êtes pas à la recherche d’une esthétique en particulier ?
Marina Tullio. Non, absolument pas ! J’essaie d’être la plus libre et spontanée possible dans mes choix. Pour moi la notion de performance est importante. Les artistes qui m’intéressent le plus sont à la croisée de plusieurs disciplines. Quand je décide de suivre un auteur, c’est tout simplement que son univers me plaît, je suis alors prête à me lancer dans cette aventure.
Le festival s’achèvera par une soirée de clôture…
Marina Tullio. Oui, on va danser un peu ! Avec le concert disco des POUF, Petite Organisation Ultra Féminine, des musiciennes qui interrogent les codes de la féminité, et ensuite le set de Judith Grynszpan de la compagnie de danse Keatbeck mais qui est aussi dj…
Cette édition ménage une place importante aux propositions participatives à travers l’atelier urbain de Jean–Jacques Sanchez et l’appel à contribution de Stéphanie Auberville, dont on a parlé précédemment…
Marina Tullio. J’avais envie qu’il y ait cette possibilité de télescopage avec le public. Quand j’ai rencontré Stéphanie Auberville pour discuter de ses projets, on a préconisé une pièce en lien avec la ville qui en appelait à la participation des spectateurs. Selon moi, un festival, c’est autre chose que des spectacles en salle, c’est plus large, il faut intégrer l’extérieur et le dialogue avec le public.
Est-ce qu’on peut parler d’un choix politique ou idéologique, dans la perspective de démocratiser les publics et d’encourager une danse plus ouverte, moins élitiste ?
Marina Tullio. C’est important qu’il y ait une ouverture sur les autres, oui, d’autant plus si cela attire des personnes qui ne viennent pas forcément au spectacle. Pour la pièce de Stéphanie Auberville, par exemple, quelqu’un d’un centre social qui aura écrit une phrase va attendre que Stéphanie danse sur cette phrase. Cette attente va le plonger dans un état particulier. C’est ce qui me tient justement à cœur, cette notion de performance (j’insiste là -dessus) qui est un état, un temps donné, une manière spécifique d’envisager le spectacle — et pas seulement dans une passivité mais dans l’espoir d’une interactivité possible. On retrouve cette dimension chez Romano Bottinelli : quand une femme se voit sur scène en train d’accoucher, par l’intermédiaire de la vidéo, elle est bien évidemment partie prenante du spectacle !
Il y a aussi un spectacle jeune public ? C’est assez rare dans un festival de danse et pas toujours très convaincant…
Marina Tullio. Au festival Les Plans d’avril, je proposais déjà du jeune public. Il y a des compagnies qui font de très belles choses à ce niveau là , comme la compagnie Etant donné… Mais c’est vrai que je programme plus souvent de la musique et du théâtre.
Et les deux expositions…
Marina Tullio. Les expositions sont en lien avec les résidences de l’année. La première de Maia Roger, qui s’appelle « Terrier », s’inspire de la pièce pour le jeune public d’Eva Motreff justement. On y voit des personnages à tête d’animaux, mis en situation dans la nature. Les photographies sont accrochées en bas, dans la salle d’exposition. A l’étage, Céline Barrere expose « Path », une série de photographies prises pendant la dernière résidence de la compagnie Keatbeck au Point Ephémère.
Pour finir, vous pouvez peut-être nous parler de la dernière édition du festival Les Plans d’Avril, qui a eu lieu du 1er au 7 avril 2011 ?
Marina Tullio. 2011 a été une édition riche, les salles étaient pleines, la programmation bien ressentie autant par le public que les professionnels. Il y eu notamment une production avec Yves-Noël Genod qui chantait Barbara, une très belle collaboration — c’est la première fois que j’arrive à monter une production pour les Plans d’avril ! Quand on a peu de moyens comme moi, c’est d’autant plus incroyable de construire un spectacle de bout en bout ! J’ai dû tout porter avec un budget de 15 000 euros ! Je ne sais pas comment je vais m’en sortir financièrement pour subsister mais j’ai réussi à faire en tout cas. C’est déjà beaucoup !
La survie des Plans d’avril est-elle menacée ?
Marina Tullio. Oui, l’Adami m’a coupé 8 000 euros, les autres subventions ont baissé de 10%, la mairie du XVIIIe n’a rien donné car Yves-Noël Genod était trop connu… Du coup, après avoir payé tout le monde, le compte de l’association est vide. Heureusement, il y a des gens qui m’épaulent, comme les régisseurs qui ont voulu travailler bénévolement cette année. Je n’ai pas assez de soutien ni de subvention. Je demande de l’aide de toute part, mais je ne sais pas encore si je vais pouvoir continuer. On est plusieurs festivals à être moins bien subventionnés. C’est très difficile d’être indépendant. Où tu t’associes à une institution, à une structure pérenne, ou tu n’as pas lieu d’exister. Voilà la politique actuelle. C’est dommage car ce genre d’initiative permet de montrer des compagnies qui n’ont pas forcément pignon sur rue. Je pense au chorégraphe Florent Ottello, totalement méconnu sur Paris, ou encore à Mami Chan, qui va passer prochainement à la Cité de la musique. Je crois que le festival est un véritable tremplin pour les compagnies et touche le public. Il aurait, selon moi, toutes les (bonnes) raisons de perdurer…
Le Point Ephémère, festival Les Petites Formes (d)cousues, du 6 au 10 juin 2011, de 14h à 22h.
Consulter le programme sur le site sur Point Ephémère