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Marie-Laure Bernadac

Co-commissaire pour la France de l’exposition Africa Remix, actuellement présentée au Centre Pompidou (25 mai-8 août), Marie-Laure Bernadac s’exprime sur la genèse du projet et les principaux choix retenus.

L’exposition Africa Remix, actuellement présentée au Centre Pompidou (25 mai-8 août), a pour ambition de donner à voir «l’art contemporain d’un continent» en partant des œuvres et seulement d’elles. C’est la première exposition majeure en France sur la création contemporaine dite africaine. Marie-Laure Bernadac est co-commissaire pour la France de cette exposition itinérante dont les autres étapes ont été le Museum Kunst Palast de Düsseldorf, dirigé par Jean-Hubert Martin et la Hayward Gallery de Londres, dont la prochaine et dernière étape est le Mori Art Museum de Tokyo. Paris-art.com l’a rencontrée à cette occasion.

Paris-art.com. Comment s’est déroulé le commissariat français d’Africa Remix ? A partir de quel moment avez-vous été associé au projet ?
L’histoire d’Africa Remix est d’abord celle d’une rencontre à Johannesburg entre David Eliott, alors conservateur à Stockholm, qui avait déjà organisé plusieurs expositions sur l’art d’Afrique du Sud, et Simon Njami. David Eliott avait vraiment envie de faire, avec Simon Njami, une grande exposition sur l’art contemporain africain, en partant de la situation en Afrique du Sud. Voilà pour le point de départ. Ils ont ensuite cherché des partenaires et ont évidemment pensé à Jean-Hubert Martin à Düsseldorf, tout de suite associé au projet, dès 2001-2002. Puis, pour la circulation de l’exposition en Europe — David Eliott étant nommé au Japon, il fallait trouver une autre étape européenne —, ils ont assez vite trouvé la Hayward Gallery.
Pour ma part, j’interviens par un biais complètement différent. J’avais été chargée par le Quai Branly, en 2002, d’écrire un rapport pour définir la politique à mener en matière d’art contemporain, pour réfléchir aux projets à mettre en place, aux grandes orientations… Dans la conclusion de ce rapport, je disais qu’il était absolument fondamental d’organiser une grande exposition d’art contemporain africain qui contrebalance l’image très ethnographique de la création du continent africain, qui permette à la France de rattraper son retard et qu’il était nécessaire que Paris se positionne dans cette nouvelle scène artistique mondiale, transnationale dont l’Afrique était sans doute le dernier morceau de puzzle manquant.
J’ai également envoyé ce rapport à Bruno Racine, Président du Centre Pompidou, qui m’a immédiatement répondu et dit : «Je veux que le Centre Pompidou retrouve une dimension internationale, je suis preneur d’une exposition sur l’art contemporain africain». Je rencontre à ce moment-là Jean-Hubert Martin. Il est alors en train de préparer une telle exposition et je lui propose de la faire ensemble. Et je deviens alors, à la demande d’Alfred Pacquement et Bruno Racine, co-commissaire pour la France de l’exposition.
Le projet était déjà un peu engagé lorsque je me suis intégrée aux discussions et à sa définition où il était entendu que le commissaire général était Simon Njami. Celui-ci a vraiment donné au projet une orientation post-Revue Noire, une implication contemporaine, un peu anti-Magiciens de la Terre pour aller vite, alors que Jean-Hubert Martin défendait son point de vue Magiciens. David Eliott et moi-même étions entre les deux. On reconnaît donc qu’il s’agit d’un commissariat composite, hétéroclite et que chacun vient avec sa formation, sa génération, son expérience. Par exemple, en tant qu’historienne de l’art, pas du tout spécialiste de l’Afrique, j’ai traité les œuvres comme n’importe quelle œuvre d’art contemporaine, sans a priori dans un sens ou dans l’autre.

Justement, avez-vous vu toutes les étapes de l’exposition ? Quelles en sont les différences ?
Elles sont toutes différentes, très différentes. Il y a la même base, mais chaque exposition, et je l’ai toujours revendiqué, se devait d’être vivante, de s’enrichir, d’être présentée différemment. De plus, il ne s’agit pas du même public, du même contexte et des mêmes institutions. Beaubourg n’est pas la Hayward Gallery, c’est l’un des plus grands musées d’art moderne et contemporain. On a fait un autre type de travail, peut-être plus exigeant, plus professionnel. Nous avons refait tout le catalogue et toute la scénographie.
À Pompidou, par exemple, j’avais vraiment la chance de choisir le mode d’accrochage, de pouvoir construire l’espace sur 2 000 m2, à la différence de Düsseldorf où l’exposition était éclatée entre plusieurs galeries et de Londres où les photos étaient toutes regroupées dans un espace à part, à cause d’un manque de place (1 500 m2).

La scénographie part donc de la volonté de tout regrouper dans le même espace ?
Oui. On a vaguement gardé les trois divisions thématiques proposées pour le catalogue par Simon Njami. Mais il s’agit plus de repères pédagogiques. L’accrochage est surtout le résultat de réflexions formelles, stylistiques, iconographiques.

Comment s’est effectué le choix des artistes, des oeuvres ? Avez-vous fait un travail de commande, de production ?
Conjointement à Simon Njami, qui connaît très bien l’Afrique et les différentes scènes artistiques depuis plus de vingt ans, les co-commissaires proposaient des artistes. Le comité validait à chaque fois la pertinence tant de l’artiste que de l’œuvre présentée.
Il y a en fait beaucoup d’œuvres existantes. Comme il s’agit souvent de la première présentation de nombres d’artistes dont les œuvres n’ont jamais été vues, il valait mieux présenter au grand public des œuvres importantes, emblématiques d’artistes dont on était sûr de l’importance plutôt que de se lancer dans le risque financier. On montre ainsi des œuvres anciennes de William Kentridge rarement vues en France ou la très belle installation African Aventure de Jane Alexander, totalement pertinente et dont nous étions convaincus de la beauté. Il y a quand même une dizaine d’œuvres de commande : pour Pascale-Martine Tayou, Abdoulaye Konaté, Patrice Félix Tchicaya, Andries Bhota, Bili Bidjocka, Amal & Abd El Ghany Kenawy et les salons des designers.

Le but de l’exposition était de partir des oeuvres et de voir ce qui pouvait se dégager d’elles et de leur regroupement. Quelle est maintenant votre vision ?
C’est difficile d’avoir une conclusion. C’est vraiment selon la sensibilité de chacun. Ce que j’ai pu recueillir jusqu’à maintenant, c’est que les spectateurs sont vraiment très touchés par l’énergie, l’inventivité, la diversité de la scène artistique. Touchés par l’engagement politique, par le rapport à la vie, au réel, par l’humour et l’urgence due aux conditions économiques. Il y a une sorte d’immédiateté de la création artistique.

Et la réaction des artistes ?
Les artistes sont très contents. Ça été une expérience formidable. Pour certains, ceux résidant en Afrique, c’était leur première venue à Paris. Aucun ne s’est plaint d’un soi-disant enfermement identitaire. Il s’agit pour eux d’une grande exposition d’artistes internationaux ayant un lien avec l’Afrique. C’était avant tout une exposition d’art contemporain au Centre Pompidou.

N’y a-t-il pas eu justement une volonté d’évacuer l’Afrique, de la considérer uniquement comme thème ?
Ce n’est pas un thème. Au-delà de la situation géographique, le critère était surtout celui du lien, même indirect, avec l’Afrique, soit que les artistes y habitent, soit qu’ils en sont directement ou indirectement originaires. Ils sont forcément pris dans un héritage, un environnement et un contexte. Il y a un enracinement dans l’histoire africaine, qui est d’ailleurs aussi diverse qu’il y a d’Afriques. On a essayé de montrer les parallèles possibles entre des histoires particulières et des histoires collectives.

Comment se situe alors l’exposition par rapport aux Magiciens de la Terre ? On peut avoir l’impression d’une position pas forcément très claire.
Au contraire, elle se veut vraiment très différente. Les Magiciens, c’était, pour la partie africaine, un certain nombre d’artistes, tous noirs, tous d’Afrique de l’Ouest, travaillant en Afrique, plus ou moins autodidactes présentés avec une volonté de revaloriser l’art populaire, l’art brut.
Il y avait évidemment, comme avec l’art populaire, des artistes géniaux dont l’œuvre dépasse l’obsession personnelle et individuelle pour atteindre une certaine universalité. Dans le choix des artistes africains : Chéri Samba, Frédéric Bruly Bouabré, Cyprien Tokudagba… , il s’agissait d’une catégorie d’artistes assez définie que l’on retrouve d’ailleurs dans Africa Remix. Pour Africa Remix, Simon Njami et moi-même voulions vraiment sortir de cette vision-là qui sert et dessert, qui est ambiguë. Elle montre qu’il y a toujours une contemporanéité de cet art dit traditionnel, très inventif mais elle l’enferme dans des connotations. Bien sûr, on ne pouvait pas non plus ne pas les mettre — c’est pour cela que j’étais assez d’accord avec Jean-Hubert Martin —, mais il fallait montrer en même temps qu’il y avait une autre génération qui n’a rien à voir avec ça, qui voyage en Europe, dont le travail est montré régulièrement par des expositions temporaires.

Pour finir, quelle est la programmation à venir du Louvre ?
On pourra voir, en septembre, une grande installation de Tunga, A la lumière des deux mondes, sous la Pyramide, et le Contrepoint 2 se déroulera dans le département des objets d’art avec des commandes d’œuvres en porcelaine à des artistes. Le thème est celui de la porcelaine de Sèvres vue et revisitée par des artistes contemporains, de l’objet d’art à la sculpture.

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