Avec Siena, le chorégraphe espagnol Marcos Morau (Cie La Veronal) présente une pièce composite. Spectacle pour dix interprètes, Siena se déroule dans un musée. De nuit. En présence d’une immense toile du Titien, La Venus d’Urbino. Et dans ce lieu silencieux et désaffecté, empli des affects de l’histoire de l’art, une femme contemple le tableau. Et un homme, sur le pas de la porte, observe la femme qui contemple le tableau. Déplaçant les spectateurs à Sienne, dans cette ville de la toscane italienne, chargée d’histoire et de peintures, Marcos Morau réinvente le rapport au corps. Le rapport à l’image du corps, à sa représentation. Dans l’espace scénique s’invitent alors dix créatures étranges. Dix danseurs, hommes et femmes, vêtus d’une tenue d’escrime. Un peu comme des cosmonautes, dans une tenue unisexe, sous le regard dévorant et sensuel de La Venus d’Urbino (1538). Une peinture sulfureuse, réputée pour son érotisme.
Siena de Marcos Morau (Cie La Veronal) : du Titien à aujourd’hui
Dans l’histoire de la peinture, le Romantisme allemand du 19e siècle est notamment célèbre pour avoir introduit le spectateur dans l’espace de représentation. À l’instar du tableau de Caspar David Friedrich, où le spectateur contemple le dos de celui qui, juché sur un promontoire, contemple une mer de nuages (Le Voyageur contemplant une mer de nuages, 1818). L’époque contemporaine s’est délectée de ces jeux de spécularités, de boucles auto- et méta-réflexives. Avec Siena, La Vénus impudique contemple le public, qui contemple l’homme, qui contemple la femme, qui contemple la Venus. Formant ainsi une ronde de regards, aussi magnétiques qu’énigmatiques. Et tandis que les artistes, à travers le temps, se sont souvent servi du corps et de son regard comme vecteur d’informations, le chorégraphe Marcos Morau prolonge ainsi cette sculpture commune des regards.
La danse pour explorer l’évolution du regard sur le corps, depuis la Renaissance
Les danseurs, par leurs corps et mouvements, font ainsi langage sur la scène de Siena. Est-ce un rêve, une hallucination, un cauchemar, un fantasme ? Un brancard traverse la scène, avec une forme de corps, drapée de la tête au pied, dans un linceul de plastique. L’asepsie ou l’anesthésie, les corps sportifs et sains, les costumes fonctionnels, et la Venus d’Urbino… Tel un collage un peu surréaliste, Siena superpose les époques, les mœurs, les langages. Tout comme la pièce elle-même, qui se joue en anglais et en italien (ici surtitrée en français et en allemand). Pour un maelström de langages brassant quelques siècles de représentations. Sans trop savoir, comme dans un bal masqué vénitien, quel regard est à l’origine de cette fantasmagorie. Est-ce la femme, est-ce le gardien, est-ce Le Titien, est-ce le public, est-ce Venus ? Jeu de miroirs, Siena scrute ainsi l’évolution des regards, de la Renaissance à aujourd’hui.