Avec le chorégraphe contemporain espagnol Marcos Morau (Cie La Veronal), la danse est construite. Presque théâtrale, sinon que tout est dit par les gestes, dans un langage autrement puissant que n’importe quel langage verbal. Et presque picturale, sinon que les corps bougent ; ne cessent de transformer les lignes de l’histoire. Quand cette danse de Marcos Morau rencontre la danse basque, telle que pratiquée par la compagnie Kukai Dantza (du chorégraphe Jon Maya), alors émerge un nouveau langage. Soit la possibilité de sensations et liaisons inédites. Intitulée Oskara (2016), la pièce de Jon Maya et Marcos Morau fait directement référence à la langue du pays basque, l’euskara. En optant pour ce nom ancien, peu connu, la pièce affiche ses couleurs : elle relie le plus contemporain aux racines. Et pièce pour six interprètes — cinq danseurs et un chanteur — Oskara arpente le fleuve du temps. Parfois calme, parfois furieux, jamais immobile.
Oskara de Marcos Morau et Kukai Dantza (Jon Maya) : danse basque et contemporaine
Dans une salle d’hôpital dépouillée et aseptisée, un homme vit sa propre mort. Là commence, pour lui comme les publics, le cheminement d’un retour aux sources de la culture basque. Par touches successives, par fragments et étapes, en passant par la danse, le chant, la musique, les costumes. Autant de signes qui font apparaître une autre histoire. Comme une suite de tableaux sobres et structurés, Oskara ne se noie pas dans la confusion. Chaque élément se distille lentement, diffuse sa réalité sans épuiser son contenu. Quand le petit groupe forme un cercle pour danser, chaque pas se développe à son rythme. Et chaque spectateur a le temps d’observer, de goûter cette saveur singulière. Une expérience attentive, qui passe par la médiation de l’homme qui meurt. De l’homme qui, une dernière fois, savoure sa mémoire mêlée. Mythologies et personnages étonnants, pour autant Oskara n’a rien d’un catalogue d’éléments folkloriques.
Entre les genres et époques : la rencontre de deux écritures chorégraphiques
Compagnie soudée, la plupart des membres de Kukai Dantza dansent ensemble depuis l’âge de six ans. Et cette langue (danse basque) qu’ils pratiquent couramment, ils ne cessent de la mêler à d’autres registres ; aux langues d’autres chorégraphes contemporains (Marcos Morau, Sharon Fridman…). Car c’est bien une langue vivante, aussi peu inanimée que l’homme de la pièce, qui se donne à percevoir. Avec une touche de ballet classique, Oskara prend parfois des airs de Leçon d’anatomie, façon Rembrandt. Avant de remonter, peut-être, vers la Renaissance finissante, lorsque les danseurs arborent des sortes de hauts-de-chausses blancs. Mais les visages enveloppés de dentelle blanche, comme pour le carnaval de Lantz (ancienne Navarre), convoquent encore d’autres esprits. Pièce plurielle, Oskara est ainsi une rencontre entre des écritures chorégraphiques précises. Un réservoir iconographique et sensoriel dans lequel chacun pourra venir puiser de quoi enrichir son vocabulaire quant à la mort, la mémoire et ses survivances.